Genève: Affaire des écoutes illégales: récusation de la procureure

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Logements fantômes (GE)Procès immobilier: la procureure est récusée pour des écoutes illégales

Dans l’affaire dite «des logements fantômes», des conversations des prévenus avec leurs avocats avaient été enregistrées. Il s’agit d’une «violation grave des devoirs de la magistrate». Toute l’instruction pourrait s’écrouler.  

Des conversations entre les prévenus et leurs avocats ont été interceptées par la police (image d’illustration).

Des conversations entre les prévenus et leurs avocats ont été interceptées par la police (image d’illustration).

Getty Images/iStockphoto

C’est un coup de tonnerre, qui pourrait bien faire s’écrouler toute la procédure pénale diligentée depuis une dizaine d’années contre les deux promoteurs immobiliers impliqués dans l’affaire dite «des logements fantômes». Ce mardi, la Chambre pénale de recours (CPR) a prononcé la récusation de la procureure, Caroline Babel Casutt. Il lui est reproché «une violation grave de ses devoirs au détriment des deux prévenus», condamnés à 4 ans de prison en première instance. Il est en effet apparu au premier jour de leur procès en appel, immédiatement reporté, que des conversations entre eux et leurs avocats avaient été enregistrées par la police et s’étaient retrouvées au dossier, violant le secret professionnel.

La CPR explique que les écoutes téléphoniques des deux promoteurs, menées entre mars et juin 2014, ont été ordonnées conformément à la loi et validées par le Tribunal des mesures de contraintes. Mais ce dernier avait fait le rappel suivant: les échanges entre les prévenus et leurs avocats «ne pourraient pas être utilisés dans la procédure, ni être retranscrits, ni faire l’objet d’un enregistrement sur quelque support que ce soit». Or, les DVD versés au dossier par la police contenaient les conversations avec les avocats et des transcriptions de certaines d’entre elles.

La procureure savait

L’arrêt précise que la procureure avait été informée que les prévenus discutaient avec leurs avocats. Cependant, elle n’a pas fait effacer ces échanges avant leur archivage sur DVD, ni n’a pris de mesures pour expurger ces DVD de ces dialogues quand elle les a reçus. Dès lors, ils «se sont retrouvés dans la procédure». La magistrate n’a pas non plus remis les DVD au prévenu qui l’avait demandé. Tout cela constitue une violation grave et «fait naître un doute légitime que les conversations litigieuses avaient été exploitées dans la procédure».

Une suite très incertaine

 Si Caroline Babel Casutt est récusée, la demande d’annulation des actes de la procédure (autrement dit du procès) a été rejetée. Ce pourrait cependant n’être que partie remise, dès lors qu’une autre demande de récusation vise les policiers en charge des investigations – or, si eux aussi étaient récusés, tous les actes d’instruction menés par eux durant la période concernée seraient susceptibles d’être annulés. En l’état cependant, aucun obstacle juridique formel ne s’oppose à la reprise du procès là où il s’était arrêté, c’est-à-dire en appel. Tout dépendrait alors des incidents soulevés à ce moment par les parties. Or, il ne fait guère de doute que la défense, si on devait en arriver là, exigerait que tout soit repris à zéro. 

«Evidemment la fin du procès»

Pour Me Nicola Meier, conseil de l’un des promoteurs, il s’agit «d’une décision à saluer, car elle rappelle l’importance fondamentale du secret professionnel dans un état de droit», mais surtout d’une situation «extraordinaire: pour moi, évidemment, c’est la fin du procès». Car l’avocat rappelle que deux autres procédures sont toujours pendantes: une demande de récusation des policiers ayant procédé aux écoutes, ainsi qu’une procédure pénale pour abus d’autorité dirigée à la fois contre la procureure et les enquêteurs. Dès lors, à ses yeux, après la décision de ce mardi, «les autres vont tomber en cascade».

«Les policiers vont être récusés»

Il juge que deux éléments cruciaux figurent dans l’arrêt de la CPR: «les avocats ont été écoutés par la police; et la procureure le savait». Dès lors, il lui paraît «évident que les policiers vont être récusés. Si tel était le cas, les actes d’enquête qu’ils ont menés devront eux aussi être annulés».

Il estime que le procès va rester suspendu jusqu’à ce que les procédures précitées aillent à leur terme. «Qu’il reprenne avant est impensable». Et si, par la suite, il reprenait au stade de l’instruction (débutée pour rappel en 2013) en première instance, il s’agirait alors «de répéter tous les actes d’instruction, donc de tout reprendre à zéro».

La question des appels

Le Ministère public ne commente pas l’arrêt de la CPR. Cependant, selon nos informations, il n’envisage pas de faire appel. Quant aux avocats de la défense, ils n’ont pas tranché: ils examinent l’opportunité de faire appel pour obtenir, en sus, l’annulation des actes de procédure – la question étant de savoir s’il est nécessaire d’aller au Tribunal fédéral pour ce faire, ou si soumettre la demande à la CPAR (Chambre pénale d’appel et de révision) à la reprise du procès suffit.  

Les plaignants verront leur argent

Si l’on se dirige vers un invraisemblable casse-tête pénal, remettant aux calendes grecques une éventuelle condamnation des deux promoteurs immobiliers, le porte-monnaie des quelque 200 plaignants ne devrait pas, lui, en souffrir. «Au niveau civil, cela ne change rien, expose Me Meier. Tout a été reconnu et admis par les promoteurs: le montant des acomptes dus, les intérêts et les frais», soit plusieurs millions de francs. «Un arrêt a été rendu et statue définitivement sur les prétentions civiles» des particuliers lésés.  

Logements fantômes et acomptes au black

Au terme d’une débâcle immobilière historique, 188 plaignants attendent désormais de récupérer leur dû. En première instance, les deux promoteurs ont entre autres été reconnus coupables d’escroquerie par métier et de faux dans les titres. Ces infractions étaient notamment liées à des réservations d’appartements à Onex (GE) pour lesquelles ils ont touché indûment 22,7 millions de francs. Entre 2010 et 2014, le duo a ainsi encaissé 423 acomptes – au noir et en cash, la plupart d’une valeur de 50’000 francs. Mais au final, moins de 20% des lots ont été effectivement livrés.

Développement suit.

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