Génocide au RwandaBerne aurait «sans doute pu faire plus»
Vingt ans après le génocide au Rwanda, la Suisse est aujourd'hui pointée du doigt, notamment à cause de sa grande proximité avec les autorités en place à l'époque.

Ce cliché réalisé par Jean-Marc Bouju, montrant une femme fuyant les massacres être prise en charge dans une clinique de fortune en juin 1994, avait remporté le prix Pulitzer.
Le génocide rwandais, survenu il y a vingt ans, avait fortement choqué la communauté internationale, Suisse comprise. Très engagée dans ce pays avant le drame, l'aide au développement de la Confédération fait l'objet de nombreuses critiques.
La Suisse est notamment accusée d'avoir été trop proche du gouvernement rwandais, coresponsable du génocide. Celui-ci avait débuté le 6 avril 1994, avec l'attentat contre le président Juvénal Habyarimana. Des soldats, des milices et une partie de la population hutue avaient alors massacré en trois mois entre 500'000 et 800'000 Tutsis et Hutus modérés, selon les chiffres de l'ONU.
Comme de nombreux autres pays, la Suisse a interrompu dès le mois d'avril ses projets d'aide et retiré ses collaborateurs du Rwanda. Les années suivantes, elle a versé des millions de francs pour l'aide humanitaire, affirme Giorgio Bianchi, responsable des programmes de la Direction du développement et de la coopération (DDC) pour la région des Grands Lacs.
«Les horribles événements au Rwanda ont choqué de nombreux Suisses, rappelle M. Bianchi. La Confédération se sentait à l'époque très proche du Rwanda et l'aide suisse au développement a perdu des collaborateurs locaux» lors du génocide, explique-t-il.
«Importantes divergences»
L'aide suisse au développement a commencé à s'engager au Rwanda peu après l'indépendance du pays en 1962. Elle a fait de ce nouvel Etat ouest-africain l'un de ses pays prioritaires.
«La petitesse du Rwanda a été déterminante à cet effet: on espérait y donner une grande visibilité à l'aide, malgré des moyens limités», souligne l'historien Lukas Zürcher, de l'Université de Zurich.
«Les responsables de l'aide au développement croyaient distinguer à travers le Pays aux mille collines une démocratie rurale et montagnarde semblable à la Suisse», poursuit M. Zürcher. Celui-ci a écrit sa thèse de doctorat sur l'aide suisse au développement au Rwanda, qui a même paru dans le pays africain.
Dans les années 1970, toutefois, ces responsables «se sont rendu compte d'importantes divergences entre leur représentation et la réalité sociale» sur le terrain, note Giorgio Bianchi. Les Rwandais avaient ainsi fait pression pour qu'ils n'engagent que des collaborateurs d'une certaine ethnie.
Lorsque les tensions entre Hutus et Tutsis se sont aggravées au début des années 1990, la Suisse a réduit ses projets d'aide et réexaminé chaque année sa coopération avec le Rwanda. Jusqu'en 1994, où elle a finalement interrompu tous ses projets.
Critiques de gauche
Ce sont surtout les cercles de gauche qui ont pointé du doigt, après le génocide, l'aide suisse au développement. «Les critiques désapprouvaient particulièrement le fait que la Suisse ait mis un conseiller à la disposition du président Habyarimana», souligne M. Zürcher.
On a en outre reproché à l'aide suisse d'avoir contribué, par ses projets, à la mise en place de l'infrastructure qui a facilité la préparation et la réalisation du génocide.
«La Suisse aurait certainement pu faire plus», reconnaît Giorgio Bianchi. «Elle aurait pu mieux analyser la situation politique et mieux se coordonner avec d'autres pays donateurs», ajoute-t-il, tout en relativisant la portée de l'influence politique de la Confédération: l'aide helvétique ne représentait en effet que 5% du total de l'aide au développement du Rwanda.
Renforcement des processus démocratiques
Le pays ne fait aujourd'hui plus partie des pays prioritaires de la DDC. L'aide de la Confédération y est toutefois active à travers son programme pour la région des Grands Lacs.
Selon M. Bianchi, l'accent est désormais porté notamment sur le renforcement des processus démocratiques. La Suisse examine attentivement le développement politique dans ce pays et mène un dialogue «ouvert» avec Kigali. (ats)