Carlos GhosnUne affaire «politiquement motivées depuis le début»
L'ex-patron de Renault-Nissan accuse les procureurs «d'actes illégaux» et demande «l'annulation des poursuites».

Carlos Ghosn.
Les avocats de Carlos Ghosn ont présenté jeudi leur ligne de défense face aux inculpations touchant l'ex-patron de Renault et Nissan. Ils accusent les procureurs «d'actes illégaux» et demandent l'annulation des poursuites.
Selon eux, les éléments qu'ils présentent aux juges «remettent fondamentalement en cause la probité et l'objectivité du dossier des procureurs», font-il savoir dans un communiqué. Durant une audience préliminaire ce jeudi, «ils ont décidé de plaider la demande en nullité de l'ensemble de la procédure contre leur client».
L'équipe de défense (composée de nombreux avocats au Japon, en France, aux États-Unis) reprend les arguments déjà avancés par Carlos Ghosn. Elle considère que les inculpations sont «politiquement motivées depuis le début, fondamentalement biaisées», et que «cette affaire n'aurait jamais dû donner lieu à des poursuites pénales».
Carlos Ghosn clame son «innocence» dans une vidéo diffusée mardi et enregistrée avant son arrestation le 4 avril sur de nouveaux soupçons de malversations financières.
«Machination»
Selon les avocats, il existe dès l'origine «une collusion avec des dirigeants de Nissan et des fonctionnaires du Meti (ndlr: Ministère japonais de l'industrie) afin de l'écarter de l'Alliance et de contrarier le projet d'intégration renforcée entre Nissan et Renault».
Et de dénoncer «un abus de l'autorité publique chargée des poursuites pénales à des fins déloyales dans un contexte de discrimination à l'égard de la race, de la nationalité et du statut social de Carlos Ghosn». Ils ont transmis aux juges et à la presse les éléments qui, selon eux, démontrent que leur client est innocent et qu'il est victime d'une machination ourdie en dehors des règles.
Quatre chefs d'accusation
Carlos Ghosn avait été arrêté le 19 novembre 2018 à son arrivée dans la capitale japonaise. Il a passé au total 130 jours en détention provisoire.
Relâché sous caution au printemps, il est actuellement assigné à résidence à Tokyo, où il prépare sa défense depuis mai, avec ses avocats. Une audience préliminaire a lieu chaque mois. Celle de jeudi étant la première au cours de laquelle les avocats ont répondu point par point aux accusations portées par l'unité spéciale du bureau des procureurs envers leur client.
Le Franco-Brésilien est sous le coup de quatre chefs d'inculpation: deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (qui est aussi poursuivi sur ce volet), et deux pour abus de confiance aggravé. Outre la négation de toute malversation avancée depuis toujours, la défense tente cette fois de démontrer que l'enquête en elle-même est truffée de failles de procédure.
Les réponses des avocats de Carlos Ghosn
Dans la requête en nullité des procédures contre Carlos Ghosn au Japon, ses avocats ont de nouveau balayé toutes les accusations qui lui valent des poursuites judiciaires. Voici les principales réponses de sa défense à ces accusations, selon des documents dont l'AFP a obtenu copie jeudi.
Carlos Ghosn a été d'abord inculpé au Japon pour avoir minimisé, dans les rapports annuels de Nissan remis aux autorités boursières, des revenus à paiement différé, équivalant à 9,23 milliards de yens (74 millions d'euros), sur une période allant de 2010 à 2018, ce qui lui vaut deux inculpations couvrant des années différentes.
Ses avocats maintiennent que les rapports annuels de Nissan ne contenaient pas de «fausses déclarations» sur ses émoluments, et que par ailleurs il n'avait pas eu l'intention de masquer quoi que ce soit.
Ils estiment qu'il s'agissait tout au plus d'une «omission» de paiements destinés à lui être versés lorsqu'il serait en retraite, mais sur lesquels Nissan ne s'était pas contractuellement engagé à l'époque. Ainsi selon eux cela ne constituerait pas un acte délictueux au regard de la loi financière japonaise.
Nissan a toutefois ultérieurement imputé les sommes en question sur ses comptes de l'exercice 2018/2019, achevé à la fin de mars dernier, gravant ainsi dans le marbre l'existence de ces revenus.
«Abus de confiance aggravé»
Le grand patron automobile franco-libano-brésilien a en outre été inculpé au Japon le 10 janvier pour «abus de confiance aggravé»: il est accusé d'avoir tenté de faire couvrir par Nissan «des pertes sur des investissements personnels» dans des contrats à terme de devises au moment de la crise financière d'octobre 2008. La somme incriminée s'élève à 1,85 milliard de yens (environ 14 millions d'euros).
Toutefois selon ses avocats, ces transactions n'ont entraîné «aucune perte financière pour Nissan».
Pour obtenir une garantie autre que Nissan, M. Ghosn a sollicité à l'automne 2008 l'aide d'un ami proche, le milliardaire saoudien Khaled Juffali, lequel s'est porté garant à hauteur de trois milliards de yens auprès de la banque japonaise de M. Ghosn.
Selon les enquêteurs japonais, M. Juffali aurait ensuite été récompensé par des virements provenant de la «réserve du PDG» de Nissan.
Cependant, pour les avocats de M. Ghosn, les versements ultérieurs de Nissan à la société de M. Juffali pour un total de 14,7 millions de dollars sont «sans relation» avec cette aide personnelle, mais correspondent à des «services justifiés et documentés d'une importance capitale» pour améliorer les ventes de Nissan au Moyen-Orient.
Rétrocommissions
Autre inculpation au Japon pour le même motif d'abus de confiance, M. Ghosn est accusé d'avoir bénéficié de rétrocommissions sur des transferts d'argent de Nissan à un distributeur de véhicules du constructeur à Oman, Suhail Bahwan Automobiles (SBA).
Au total, cinq millions de dollars seraient revenus à M. Ghosn, selon le Parquet japonais. D'après des sources proches du dossier, ces moyens auraient notamment servi à l'achat d'un yacht et à doter un fonds d'investissement familial dans les nouvelles technologies, Shogun Investments, piloté par son fils Anthony aux États-Unis.
Ses avocats affirment au contraire que les versements à SBA constituaient des «primes justifiées» sur des services pour augmenter les ventes de Nissan à Oman et dans d'autres pays du Golfe.
«Contrairement à ce qui a été allégué, aucun des fonds versés par Nissan à SBA n'a été reversé à M. Ghosn ou à des membres de sa famille», soulignent ses avocats dans leur communiqué.
Malversations financières
M. Ghosn est soupçonné d'autres malversations financières, mais qui ne lui valent pas de poursuites au Japon.
La justice française notamment s'intéresse à 11 millions d'euros de dépenses suspectes de la structure néerlandaise de l'alliance Renault-Nissan, RNBV, du temps où Carlos Ghosn en était le patron.
Parmi ces dépenses passées au crible figurent des prestations de conseil confiées à l'ex-ministre française de la Justice Rachida Dati et au criminologue Alain Bauer, et la couverture des frais de la fête de mariage de M. Ghosn au Château de Versailles en 2016.
Saisies illégales
Carlos Ghosn et ses avocats accusent aussi les enquêteurs japonais d'avoir sous-traité une partie de leur travail à «des consultants et cadres de Nissan» afin d'obtenir des documents préjudiciables à Carlos Ghosn.
D'après la défense, le parquet a aussi procédé à des saisies illégales (par exemple les téléphones de l'épouse de Carlos Ghosn) et à d'autres irrégularités, dont celle de l'avoir «arrêté et inculpé arbitrairement», «tout en ignorant les conduites répréhensibles d'autres dirigeants de Nissan, de nationalité japonaise» et bénéficiant d'un accord de coopération avec les enquêteurs. (nxp/afp)