Genève: Des dizaines de corps ne sont pas réclamés à l’hôpital 

Publié

Hôpitaux universitaires de Genève (HUG)Des dizaines de corps ne sont pas réclamés

Lorsqu’un patient décède, il arrive que personne ne demande la dépouille. Commencent alors des recherches de plusieurs semaines pour trouver des proches. Souvent en vain.

David Ramseyer
par
David Ramseyer
Les dossiers de corps non réclamés sont en légère hausse, aux HUG.

Les dossiers de corps non réclamés sont en légère hausse, aux HUG.

dra

Ni message d’adieu ni chagrin exprimé. Paru début février dans la presse, un avis mortuaire donnait simplement un nom, les dates de naissance et de décès, puis invitait «parents, amis, connaissances se sentant investis dans l’organisation de funérailles» à appeler un numéro aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). «On compte entre 50 et 100 cas de corps non réclamés chaque année. Ça augmente, légèrement mais sûrement», signale Christine Lansard, gestionnaire administrative de la morgue de l’hôpital.

Responsable médical des lieux, le Dr Johannes Lobrinus acquiesce. «Plusieurs facteurs expliquent ces situations: une solitude extrême, un conflit familial, des ponts coupés avec les proches. Parfois, aussi, ils ne veulent ou ne peuvent pas régler les frais liés au décès, signe peut-être d’une paupérisation de la population.»

Trois semaines de recherches

Lorsque personne ne réclame un corps, la dépouille est conservée dix jours à la morgue, le temps que quelqu’un, à l’étranger, ou de la famille éloignée éventuellement, se manifeste. Si ce n’est pas le cas, des investigations commencent, pendant une dizaine de jours supplémentaires. D’abord, dans les fichiers du service d’anatomie des HUG, explique le praticien, «pour vérifier si le patient a fait don de son corps à la science, ce qui expliquerait pourquoi personne ne le demande. Nous ne sommes pas forcément avertis au préalable d’une telle disposition.»

L’enquête s’appuie aussi sur la base de données sécurisée de l’Office de la population, baptisée Calvin, ou sur le dossier médical du défunt. «On y recherche des contacts et des instructions, liste Christine Lansard. Il nous est ainsi arrivé de découvrir que la personne décédée avait explicitement demandé que personne, pas même sa famille, ne soit prévenu de sa mort.» Dans ce cas, «sa volonté prime.» S’il y a lieu, une annonce est publiée dans la Feuille d’avis officielle et la «Tribune de Genève». «C’est efficace, confie le Dr Lobrinus. Régulièrement, des voisins, d’anciens amis ou des associations dont faisait partie le défunt nous fournissent des indications précieuses, voire, organisent un moment de recueillement.»

Que devient le corps?

La famille n’a aucune obligation légale de prendre en charge le corps d’un des siens. Si elle refuse ou ne se manifeste pas, la loi cantonale sur les cimetières stipule que l’incinération (ou l’enterrement si le défunt l’a expressément demandé) est à la charge de la Commune de résidence du mort. Dans les rares cas où personne ne peut dire où il habitait (ndlr: un patient étranger sans attaches connues, par exemple), la Commune dans laquelle il a trépassé devra s’acquitter de l’organisation et des frais de funérailles. L’urne est conservée durant un an, au cas où un proche se manifesterait enfin. Passé ce délai, les cendres sont dispersées au cimetière, dans le jardin du souvenir.

Cependant, dans la majorité des cas, les corps non réclamés le restent. «Cela illustre l’isolement et la solitude de certains, dans nos sociétés», soupire le Dr Lobrinus. «On ne veut pas de laissés-pour-compte, rebondit Christine Lansard. C’est pour cela que nous faisons toutes ces démarches rigoureuses, par respect pour le défunt.»

Cadavres mystères

Les corps ou restes de corps non identifiés, retrouvés dans la nature par exemple, sont du ressort de la police, en collaboration avec le Centre universitaire romand de médecine légale des HUG. Pour mettre un nom sur une dépouille, des spécialistes effectuent des recherches ADN, étudient la dentition ou des traits caractéristiques du cadavre – un tatouage, par exemple –, et consultent des bases de données de personnes disparues. La brigade criminelle est chargée des levées de corps. Pour leur inhumation, les dispositions de la loi sur les cimetières s’appliquent; c’est la police, cette fois, qui contacte les communes où les cadavres ont été découverts. 

Héritage sans héritier

À Genève, le greffe des successions du Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (Justice de paix) est chargé de gérer les biens du défunt dont le corps n’a pas été réclamé. Mission de l’administrateur nommé à cet effet: trouver des héritiers. S’il n’y en a pas, l’Office cantonal des faillites prend la suite. Il liquide la succession et vend les biens du défunt aux enchères publiques.

Ton opinion

106 commentaires