Dérapage en FranceDes ripoux piégés par la vidéosurveillance jugés jeudi
Quatre fonctionnaires seront jugés jeudi au tribunal à Bobigny. Ils avaient été filmés en train de commettre un contrôle de police «arbitraire» et «violent» en 2019 à Saint-Ouen, près de Paris.
Un contrôle de police arbitraire, violent et des vidéos accablantes qui «sauvent les deux victimes»: quatre policiers de la Compagnie de sécurisation et d’intervention de Seine-Saint-Denis (CSI 93) sont jugés jeudi à Bobigny pour violences, détention de cannabis, faux PV ou encore vol.
Cette affaire s’inscrit dans le vaste scandale qui touche la CSI 93, unité aux méthodes controversées visée par une quinzaine d’enquêtes depuis 2019 et deux procès à venir. Promise à la dissolution par le préfet de police de l’époque Didier Lallement, la compagnie a été finalement réorganisée et replacée sous l’autorité de la CSI de Paris. Son ancien patron a pris le commandement du service spécialisé du maintien de l’ordre circulant à moto, la BRAV-M.
A Saint-Ouen, le 30 mai 2019, un équipage de la CSI 93 interrompt une séance de sport improvisée entre jeunes et moins jeunes du quartier Emile Cordon dans le centre-ville pour effectuer des contrôles d’identité. Jonathan S. se prête aux vérifications sans animosité. Sans que le jeune homme s’en rende compte, le brigadier-chef Riahd B. avait discrètement posé un sac plastique contenant des sachets d’herbe à proximité pour «justifier» le contrôle, selon son témoignage auprès de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN).
Contestant le procédé, Jonathan S. est saisi par les chevilles et plaqué violemment au sol avant d’être frappé au visage à coups de poing. Il sera interpellé pour outrage, rébellion et violence sur personne dépositaire de l’autorité publique et placé en garde à vue pendant près de 16h. Ce chauffeur poids lourd s’est vu octroyer 10 jours d’incapacité totale de travail (ITT).
«Impunité»
Louqmane T. est témoin de la scène. Il a vu le fonctionnaire de police déposer le sac de drogue et a sorti son téléphone pour capter l’interpellation. Il est pris à partie par le brigadier Loïc P. qui s’est emparé du téléphone et l’a mis dans sa poche.
Louqmane T. réclame son téléphone, en vain. Il est à son tour contrôlé puis interpellé pour menace de mort et violence. Le jeune homme reçoit une décharge de taser qui permet aux policiers de le maîtriser. Son téléphone et ses écouteurs s’évaporeront.
Sur leur procès-verbal, les policiers accablent les interpellés. Mais «des vidéos sauvent les deux victimes», confie une source judiciaire, qui confirme le contrôle de police «arbitraire» et «violent». L’exploitation des images de caméras de surveillance d’une épicerie, qui ont capté toute l’intervention policière, a permis de confirmer la version des deux victimes.
Sauvés par la vidéosurveillance
L’enquête de l’IGPN a démontré que «le contrôle d’identité et l’interpellation n’étaient aucunement justifiés et qu’au moment du contrôle ils étaient parfaitement calmes à l’arrivée des policiers». «S’ils n’avaient pas eu la chance que les faits dont ils ont été victimes se produisent sous l’oeil de la caméra d’un commerce, ils auraient été probablement poursuivis, condamnés, voire incarcérés, à tort», déplore Me Raffaëlle Guy, avocate des deux hommes.
«Il est terrifiant de se dire que pendant des années, des fonctionnaires de police ont pu mentir, truquer, insulter, falsifier, voler et violenter en tout impunité», a-t-elle ajouté. Pour l’avocate, «ces pratiques, qui n’étaient manifestement pas isolées au sein de la CSI 93, ont contribué à tromper l’institution judiciaire, qui a ainsi pu condamner des justiciables innocents». Sollicités par l’AFP, les avocats des quatre prévenus n’ont pas souhaité faire de commentaire. Agés de 35 à 43 ans, les policiers seront jugés devant la 14e chambre correctionnelle de Bobigny à partir de 10h00.
Cette affaire avait incité la justice à se pencher sur d’autres plaintes mettant en cause la compagnie. Des sonorisations de véhicules et vestiaires avaient été diligentées. Une information judiciaire ouverte en septembre 2019 est toujours en cours. «La difficulté dans ces dossiers, c’est que les victimes ne parlent pas», a indiqué à l’AFP Loïc Pageot, procureur-adjoint de Bobigny, en charge des dossiers impliquant les policiers de la Seine-Saint-Denis.