GenèveDeux enfants placés sans être exposés à un danger
La justice vient d'envoyer deux jeunes en foyer car le droit de visite du père était entravé.
- par
- Jérôme Faas

Le SPMi est venu chercher les deux enfants à l'école, durant les heures de cours.
Vendredi, Luc* devait fêter ses 9 ans avec ses camarades d'école. Mais d'anniversaire, il n'y eu point. Jeudi matin, le Service de protection des mineurs (SPMi) et la police municipale sont venus le chercher à l'école. Eva*, sa soeur de 14 ans, a aussi été extraite du cycle par le SPMi. Ni eux, ni leur mère ne s'y attendaient. Depuis, les deux enfants vivent dans un foyer: mercredi 16 octobre, la justice, soit le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE), suivant un préavis du SPMi, avait décidé de ce placement urgent. Pourtant, Luc et Eva ne sont pas la cible de violences physique, psychique ou de négligence grave.
Ils habitent depuis toujours avec leur mère, dans une petite maison bien tenue. La maman s'occupe d'eux avec attention. Les deux enfants ont une scolarité normale. Mais une ombre plane sur le tableau: leurs deux parents vivent, depuis 2011, une séparation extrêmement conflictuelle, soldée par un divorce en 2018. Depuis huit ans, la mère empêche par tous les moyens possibles le père d'exercer son droit de visite. Dès lors, les enfants ne l'ont pas vu depuis 2016. Et, ainsi qu'ils l'ont écrit dans le cabinet de leur pédopsychiatre, ils n'ont pas l'intention de renouer avec lui.
Elle ne peut parler à ses enfants
La mère, qui a été placée devant le fait accompli (alors même qu'un rendez-vous avec le SPMi était agendé cette semaine), est en miettes. Empêchée de voir et de parler à ses enfants, elle crie à l'abus de pouvoir de la justice et remue ciel et terre pour les récupérer. «Comment ose-t-on faire vivre un tel traumatisme à des enfants qui vont bien, qui fonctionnent bien à l'école, qui ont toujours vécu avec moi?» Les savoir en souffrance la plonge dans un profond désespoir.
Collaboration exécrable et sabotage
Dans son rapport, le SPMi souligne que la «mère a réussi à les monter contre lui (ndlr: le père) et a fait, sans cesse, du sabotage». Il note qu'elle «refuse de collaborer avec notre service» et «défie effrontément les décisions de justice» relatives à l'exercice du droit de visite. Le SPMi craint «que l'image qu'ont les enfants de leur père ne soit basée que sur le discours hautement conflictuel de leur mère envers celui-ci». Il juge que «ce fonctionnement clivant est dangereux pour le bon développement des enfants». Et de préconiser leur placement en foyer, avec un droit de visite d'une heure par semaine pour chacun des deux parents.
«Le placement doit rester l'ultima ratio»
Me Sandy Zaech, l'avocate de la mère, est sidérée que cette décision ait été prise sur mesures «superprovisionnelles», c'est-à-dire sans audition des parties, par l'apposition d'un simple tampon sur un rapport du SPMi, et sans possibilité de recours jusqu'à ce que le TPAE fixe une audience. Pour elle, il est évident qu'il n'existait aucune urgence à placer ces enfants en foyer du jour au lendemain. «Quand il y a de la violence, je veux bien que des enfants soient retirés avec effet immédiat à leurs parents, mais là, d'autres mesures auraient été possibles et surtout auraient pu être discutées si une audience avait été fixée par le Tribunal. Le placement sur mesures superprovisionnelles doit rester l'ultima ratio en cas de péril imminent pour l'enfant!»
Deux médecins très dubitatifs
Me Zaech estime que la décision, «de par sa brutalité et son caractère inattaquable» a été prise «sans prendre en compte le bien-être des enfants», qui vivent extrêmement mal ce placement subi, auquel ils n'ont pas été préparés. Leur pédiatre, Thierry Battisti, exprime lui aussi son «incompréhension», jugeant que ce placement «n'a aucun sens pour les enfants et est traumatisant». Leur pédopsychiatre, pour sa part, a plusieurs fois estimé, sans se prononcer sur le fond de la situation, que forcer Eva et Luc à voir leur père serait, en l'état, «entièrement contre-productif».
Depuis le foyer, les enfants ont écrit qu'ils allaient mal et qu'ils voulaient revoir leur mère. Ils ont réitéré leur volonté de ne pas voir leur père. La maman, elle, répète sa douleur. «S'il leur arrive quelque chose, je ne pourrai pas le supporter!» Porteur d'une pétition remise en avril au Grand Conseil, munie de 1269 signatures, et réclamant un fonctionnement moins abrupt du SPMi, l'élu municipal Pascal Spühler se dit «révolté» par cette situation. «Le problème est réel, les victimes de ce système, on ne les croit pas. On les prend pour des affabulateurs. En allant chercher des enfants à l'école avec la police, en intervenant de manière barbare, on fabrique de futurs voyous. Pour moi, il s'agit de kidnapping d'enfants. Dans les divorces, il y a toujours des tensions, parfois très importantes. Mais on ne peut pas intervenir comme ça. Il faut aider les gens!»
Un mois à attendre
Mardi, Luc et Eva étaient toujours en foyer, malgré les démarches initiées par Me Zaech pour obtenir une reconsidération de la décision du tribunal, seule voie ouverte face à de telles mesures urgentes. Si elle n'y parvient pas, les enfants resteront placés au moins jusqu'au 27 novembre, date à laquelle le TPAE a prévu d'entendre toutes les parties.
*Prénoms fictifs
Sept mineurs sur mille concernés
Le SPMi ne commente jamais les cas particuliers, indique Pierre-Antoine Preti, porte-parole du Département de l'instruction publique. Il précise que Genève regroupe 93'000 mineurs. le SPMi en suit 6900, et "665 ont été placés". "L'évaluation du SPMi n'est qu'un des éléments, parmi beaucoup d'autres", utilisés par la justice pour prendre une décision. Le placement "est l'ultime solution envisagée", "lorsque tous les dispositifs mis en place par le SPMi (aide éducative/AEMO, Points rencontres, médiation, etc.) n'ont pas abouti aux résultats escomptés, (...) soit garantir le bon développement des enfants". S'il dit "comprendre la douleur provoquée par un placement, il est préconisé dans une minorité de cas et dans l'intérêt supérieur de l'enfant."
Des décisions évolutives
Le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (TPAE), tenu au secret de fonction, ne s'exprime pas sur les cas particuliers. Porte-parole du pouvoir judiciaire, Marc Guéniat déclare que le tribunal "a pour principale préoccupation l'intérêt prépondérant de l'enfant", et que ses décisions "sont prononcées après un examen approfondi de l'historique de la famille concernée et des solutions envisageables". Il précise aussi que les décisions ne sont pas définitives, sont sujettes à recours, et que "la juridiction assure un suivi et tient compte de l'évolution des situations".
Dans "Le Temps" du 27 mai, Anne-Catherine Bühler, vice-présidente du TPAE, s'exprimait au sujet des cas "d'aliénation, à savoir la destruction de l'image qu'a l'enfant de son autre parent, les parents qui s'y prêtent rabâchent à leur enfant que l'autre ne les aime pas, qu'il est abject, ou dans les cas extrêmes qu'il y a eu abus sexuels. Au point de provoquer une souffrance terrible chez l'enfant, pris dans un conflit de loyauté." Pour la juge, si le parent dénigrant "ne parvient pas à se remettre en question, il vaudra mieux l'écarter pour protéger l'enfant".