Mon plus beau souvenir: Et soudain, un bruit...

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Mon plus beau souvenirEt soudain, un bruit...

En 2010, le but de Crosby en finale des JO de Vancouver avait engendré une explosion de bonheur.

par
Emmanuel Favre
Le 28 février 2020, Sidney Crosby avait donné une définition parfaite de «la magie du sport».

Le 28 février 2020, Sidney Crosby avait donné une définition parfaite de «la magie du sport».

Keystone

Ce 28 février 2010, à Vancouver, nous étions 17'748 veinards regroupés dans la Rogers Arena, rebaptisée «Canada Hockey Place» le temps du tournoi olympique le plus relevé de tous les temps. Si le stade avait eu une capacité d'un million de personnes, nous aurions assurément été un million tant l'affiche de la finale entre les Etats-Unis et le Canada soulevait les passions de deux côtés d'une frontière située à quelques 60 bornes.

Ce duel entre les deux nations dépassait le cadre d'un simple match de hockey. Il était une opposition entre deux écoles de formation, celui des collèges et universités américains contre les ligues juniors canadiennes. Et, comme les Nord-Américains savent si bien le faire, il était présenté comme celui de la revanche de la finale olympique de 2002 à la télévision et dans les gazettes. Huit ans plus tôt, sans réellement être mis en difficulté, les hockeyeurs à la feuille d'érable s'étaient parés d'or en battant les Etats-Unis à Salt Lake City (2-5).

Chut!

Ce 28 février 2010, à une heure à laquelle les professionnels de la NHL n'avaient guère l'habitude d'être en action (le puck avait été libéré à 12h15), on avait donc eu le privilège d'être témoin de l'une des oppositions les plus palpitantes d'un sport plus que centenaire. A la 59e minute, l'unifolié menait 2-1; à 25 secondes du coup de klaxon, à six contre cinq, Zach Parise avait déjoué la vigilance de Roberto Luongo. Prolongation.

On était 17'748, dont bien 15'000 Canadiens tout de rouge et de blanc vêtus, mais on avait l'impression d'assister à une messe dominicale, l'intensité en plus. A quelques rares exceptions près, après un arrêt ou lors d'une échappée, les tribunes s'étaient terrées dans une atmosphère monacale. Lors d'un arrêt de jeu, après avoir consulté la montre et constaté qu'il était déjà 23h30 en Suisse, j'avais partagé une réflexion d'ordre purement pratique avec mon voisin de l'agence Sport Information, Grégory Beaud. «Je pense qu'on peut oublier les prints.» Sous-entendu: on sera hors-délais. Devant nous, quelqu'un s'était retourné pour me demander de baisser le ton.

Ce n'était que du hockey. Mais le sentiment d'appartenance, la fibre patriotique, le stress et la peur de perdre avaient propulsé le moment dans une autre dimension. Chaque seconde semblait aussi longue qu'une minute, chaque minute durait une heure, chaque action avait le potentiel d'être la dernière.

Libérés de leurs angoisses

Et soudain, après 67'40, un tir de Sidney Crosby. Et soudain, une rondelle qui file entre les jambes du gardien américain Ryan Miller. Et soudain, une lumière qui vire au rouge. Et soudain, surtout, un bruit, le plus puissant que je n'avais jamais entendu dans une patinoire. 15'000 Canadiens qui, comme ça, d'une seconde à l'autre, se libèrent de leurs angoisses et bondissent de leur sièges tels des diablotins de leurs boîtes.

Dix ans plus tard, ce tintamarre venu de nulle tard, si ce n'est pas la crosse du plus génial attaquant de sa génération, résonne encore parfois entre mes deux oreilles. Il est le symbole de la magie du sport, formidable vecteurs d'émotions.

Il rappelle que nous sommes bien chanceux d'exercer l'un des plus beaux métiers du monde. D'avoir assisté à l'un des trois goals qui ont le plus pesé sur l'histoire du hockey international, après celui de Paul Henderson, qui avait sauvé la face des Canadiens dans le dernier acte de la Série du Siècle contre l'URSS en 1972. Et celui de Mario Lemieux, qui avait offert à la victoire au pays à la feuille d'érable lors de la Canada Cup 1987 contre cette même URSS.

Les centaines de milliers de fans croisés jusqu'au petit matin dans les rues de la métropole de Colombie-Britannique l'avaient d'ailleurs bien réalisé.

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