GenèveFamille géorgienne renvoyée de force en pleine nuit
La demande d’asile de Lela, son fils de 9 ans et son mari, arrivés en Suisse en 2018, a été refusée. Malgré la fragilité mentale de l’enfant, ils ont été expulsés le 30 novembre dernier.
- par
- Leïla Hussein
«Quand je me couche le soir, je ne sais jamais si je serai encore à Genève à mon réveil», avait confié Lela dans le documentaire «Joie de vivre», qui rassemble les portraits de six résidents du centre d’hébergement collectif de Rigot, à Genève. Le 30 novembre dernier, les craintes de cette Géorgienne arrivée en Suisse en 2018, avec son fils et son mari (dont elle est aujourd’hui séparée), sont devenues réalité.
La demande d’asile de la famille refusée, tous trois ont été renvoyés de force dans leur pays d’origine. «Ils ont débarqué en pleine nuit sans leur laisser la possibilité d’emporter des affaires ou de passer un appel. Leur avocat n’avait même pas été prévenu», s’insurge Mariana Paquin, réalisatrice du film, devenue amie de Lela. Vendredi, plusieurs associations d’aide et amis de la famille étaient réunis pour dénoncer ces pratiques qui «bafouent les droits humains et sont pires que les maltraitances».
Une histoire qui se répète
Pis, les autorités fédérales n’ont pas tenu compte de la fragilité mentale de Amiran, le fils de Lela, estime l’assistance. Suivi durant un an et demi aux HUG, l’enfant aujourd’hui âgé de 9 ans présentait d’importants troubles du comportement. «Il avait peur, était agressif. Mais son état s’était grandement amélioré», témoigne Nathalie Diaz-Marchand, psychothérapeute à Appartenances-Genève, qui a pris en charge le garçon par la suite. Cette dernière avait d’ailleurs fourni plusieurs rapports médicaux attestant «la nécessité d’un suivi psychologique, car certaines difficultés persistaient encore».
Une histoire qui fait tristement écho au récent suicide d’un jeune Afghan, hébergé au foyer de l’Etoile, après le refus de sa demande d’asile. Son décès avait suscité colère et tristesse chez ses camarades, notamment en raison du fait que la vulnérabilité psychologique du jeune homme n’avait pas été prise en compte dans la décision du Secrétariat d’Etat à la migration.
Fragilité mentale ignorée
«Comment et qui décrypte les certificats médicaux pour déterminer si une famille peut être renvoyée ou pas? C’est une zone grise», a souligné Me Stucki, l’avocat qui a repris le dossier en 2021. Venue en Suisse pour soigner le mari de Lela qui venait d’avoir un grave accident, la famille n’avait en effet pas obtenu le statut de réfugié. «Une fois que le renvoi est prononcé, se pose la question de l’exécution: est-elle licite, possible et raisonnablement exigible? C’est sur ce dernier point qu’on a tenté d’intervenir en démontrant que Amiran ne pouvait pas recevoir les soins dont il a besoin en Géorgie.»
En 2021, la tactique semble marcher, mais un an plus tard, la machine se remet en marche. «Cette fois, nous n’avons pas eu le temps d’envoyer les documents. Ils les ont renvoyés le jour où je devais transmettre le rapport médical. Aujourd’hui, son état de santé s’est péjoré. Il ne veut pas manger, refuse d’aller à l’école, se montre agressif. Ce que nous avions prédit se confirme», s’attriste Nathalie Diaz-Marchand.
Hébergé chez sa mère
À l’heure actuelle, Lela et son fils «sont retournés chez sa mère, dans la campagne. Heureusement, il y a des animaux. Ce qui occupe le petit», raconte Anne Buholzer, monitrice à la maison de quartier de la Servette. Larmes aux yeux, celle qui a côtoyé Lela et son fils durant 4 ans décrit une mère qui cherchait activement du travail et un enfant au «tumulte intérieur fort». Alors qu’ils sont logés à plusieurs dizaines de kilomètres de la capitale du pays, «l’accès à un suivi psychologique est très difficile», relève Caroline Eichenberger, directrice de l’association Camarada où Lela était très investie.
«Sa volonté de contribuer à la société et son intégration en Suisse sortaient du lot», a conclu la responsable. Raison pour laquelle la mère de famille a toujours refusé d’entrer en matière concernant un renvoi volontaire. «Pour elle, c’est inimaginable de vivre en Géorgie.»