Guerre en Ukraine Ces Ukrainiens qui désertent «pour arrêter de voir ça»
De nombreuses personnes ont fui le pays et la guerre qui y fait rage. Quitte à subir l’infamie.

Un missile russe a détruit une résidence dans la région de Kiev, le 27 août 2023.
«J’ai vu une tête coupée et quelqu’un se faire tirer dessus.» Après un mois sur le front, le conscrit ukrainien Ivan Ichtchenko a déserté l’année dernière, quitte à payer une fortune en bakchichs et à subir l’infamie.
Comme lui, d’autres hommes initialement déterminés à combattre l’invasion russe ont préféré, face à la violence du conflit, prendre la tangente en profitant des réseaux de corruption que le président ukrainien Volodymyr Zelensky tente aujourd’hui de déraciner.
«Je me prenais pour un super-héros avant, mais quand on voit la guerre en vrai, on réalise qu’on n’a rien à y faire», explique le trentenaire, cheveux longs, barbe de trois jours et bague au doigt.
«Pour arrêter de voir ça», il a payé 5’000 dollars en pots-de-vin pour qu’une voiture avec une plaque d’immatriculation gouvernementale le dépose dans une forêt proche de la Hongrie, où un trou dans une clôture lui a permis de traverser clandestinement la frontière.
Du fait de la guerre, les Ukrainiens âgés de 18 à 60 ans n’ont pas le droit de quitter le territoire, sauf autorisation spéciale. Les déserteurs sont passibles de peines allant jusqu’à douze ans de prison, tandis que les réfractaires au service risquent cinq ans de détention.
Ivan Ichtchenko est donc désormais contraint à l’exil. Il a circulé en Europe et se trouve actuellement à Dresde, dans l’est de l’Allemagne.
Tiraillés par la culpabilité
La culpabilité, ces Ukrainiens qui refusent de combattre doivent y faire face quand ils rencontrent des compatriotes à travers l’Europe occidentale. C’est le cas d’Evguène Kouroutch, parfois confronté à des situations gênantes au volant de son taxi à Varsovie. «On m’a dit: «Nos maris se battent au front et vous, les lâches, vous vous cachez!», souffle cet officier de réserve, âgé de 38 ans, qui était en Pologne quand la guerre a éclaté et a renoncé à retourner dans son pays.

Evguène Kouroutch vit à Varsovie, en Pologne.
Un homme de son âge ne passe pas inaperçu parmi le million d’Ukrainiens accueillis en Pologne: la moitié des réfugiés sont des enfants et plus des trois quarts des adultes sont des femmes séparées de leurs conjoints, qui ont, eux, répondu présent.
S’il dit comprendre que ce soit un sujet «douloureux» et «conflictuel», celui-ci dit devoir être là pour sa famille. Originaire d’Odessa, il a fait venir son fils de 5 ans, Kirill, et sa fille Anastasia, 8 ans, ainsi que son épouse. «Quand je les regarde, ça me donne de la force et me conforte dans l’idée que je ne fais pas cela pour rien.»
C’est aussi en pensant à l’avenir des siens que Bogdan Marynenko a pris la route de la Pologne, en août 2022, deux jours avant son dix-huitième anniversaire, poussé par ses proches et alors que son père combat les armes à la main.

Bogdan Marynenko, 19 ans, a également fui les combats.
«Si quelque chose lui arrive, ma mère et mes sœurs n’auront plus que moi», rappelle ce jeune homme nageant dans des vêtements trop grands. Aujourd’hui, il trime sur des chantiers pour faire bouillir la marmite.
Près de 15’000 personnes arrêtées
Si l’invasion russe a uni la nation, certains préfèrent tout de même partir. Depuis le début de la guerre, 13’600 personnes qui tentaient de partir du pays clandestinement ont été arrêtées, selon le porte-parole des gardes-frontières Andriï Demtchenko. Quelque 6100 autres se sont fait prendre avec des documents falsifiés, ce qui donne un aperçu du phénomène, même si l’AFP n’a pas obtenu auprès des autorités de statistiques globales sur tous ceux qui ont réussi à se soustraire à l’appel du drapeau.