SuisseIl mange jusqu'à en mourir et personne n'a pu l'aider
Un jeune de 17 ans, souffrant d'une grave addiction à la nourriture, est décédé début octobre. Il pesait alors 280 kilos. Personne, ni sa famille, ni les médecins, ni les autorités, n'a pu empêcher sa mort.
- par
- ofu/jef
Fabian est décédé début octobre à l'âge de 17 ans dans un home de Suisse alémanique, probablement après être tombé de son fauteuil roulant en voulant se lever. L'adolescent pesait 280 kilos, révélait samedi le «Tages-Anzeiger».
Selon le quotidien alémanique, son addiction à la nourriture s'est développée lorsqu'il était à l'école enfantine. Rapidement, l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte (Kesb) s'était chargée de son cas. De nombreux séjours dans des homes, cliniques et institutions s'étaient alors ensuivis. Son dernier domicile était un home pour personnes âgées en attendant de pouvoir se faire opérer de l'estomac à l'hôpital universitaire de Zurich. Or, le jeune profitait du manque de contrôle dans le home pour se faire livrer des pizzas et des chicken nuggets.
«Il faudrait des séjours en clinique privée»
«C'est la première fois que je vois un cas avec des conséquences aussi graves», affirme Heinrich von Grünigen, président de la Fondation suisse de l'obésité, interrogé par la «SonntagsZeitung». «Pour ce type de situations, il faudrait des séjours stationnaires en clinique fermée. Mais ce type d'offres n'existe pas en Suisse.»
Heinrich von Grünigen précise qu'il existe bel et bien des cliniques adaptées aux besoins des personnes en surpoids qui souhaitent se faire soigner. «Mais si l'addiction atteint de telles dimensions, il faut pouvoir éviter que les patients puissent avoir accès à la nourriture.» Selon l'expert, la fondation reçoit un nombre toujours grandissant de demandes de la part de personnes souhaitant se faire soigner dans une institution fermée. «Elles se rendent compte qu'une clinique ouverte n'est plus suffisante.»
«Des cas de plus en plus graves»
Nathalie Farpour-Lambert, médecin adjointe agrégée responsable du Programme contrepoids et de la consultation de médecine du sport pédiatrique aux HUG, confirme elle aussi que «l'obésité des jeunes est un problème grandissant de nos jours en Europe». Et d'ajouter: «Nous sommes confrontés à des cas de plus en plus graves chez des patients de plus en plus jeunes. Nous venons de diagnostiquer un diabète de type 2 chez l'une de mes patientes, âgée de 10 ans. Mais malheureusement, les statistiques européennes ne prennent pas en compte les cas d'obésité sévères.»
Manger par frustration
Interrogée par «20 Minuten», Dajena, soeur de Fabian, est inconsolable. «C'est horrible. Je suis effondrée.» La jeune femme de 22 ans explique que les problèmes ont commencé très tôt chez son frère. «Depuis toujours, il était très focalisé sur notre mère. Quand elle a repris son travail, il n'arrêtait pas de pleurer. Ensuite, il est devenu malade et ne mangeait plus grand-chose. Une fois guéri, et pour reprendre des forces, il s'est mis à manger de plus en plus. Mais c'est après avoir été victime de mobbing à l'école enfantine qu'il a commencé à manger par frustration.»
«On ne l'a pas aidé correctement»
Tous les efforts menés par sa famille pour lui venir en aide sont restés vains, regrette Dajena: «C'était une vraie maladie. Il ne pouvait s'empêcher de manger. Parfois il s'enfermait dans sa chambre, mais ça ne servait à rien.» Selon la jeune femme, les choses ont encore empiré lorsque l'autorité de protection de l'enfant et de l'adulte s'en est mêlée. «Il a encore plus grossi et a été séparé de sa famille. Ça n'a fait qu'empirer les choses. Il a alors perdu tout espoir.» Dajena reproche aux autorités d'avoir continuellement puni son frère: «On lui a pris son portable et on lui a interdit de téléphoner. Je sais que mon frère avait besoin d'aide, mais on ne l'a pas aidé correctement.»
Rééducation physique
Interrogée sur la manière dont sont pris en charge les jeunes en surpoids aux HUG, Nathalie Farpour-Lambert souligne que
«le but premier est de procéder à une rééducation physique, à un rééquilibrage alimentaire et non d'atteindre une perte de poids rapide.»
250'000 enfants en surpoids
En Suisse, on compte environ 250'000 enfants en surpoids ou souffrant d'obésité, écrit la «SonntagsZeitung». Dagmar l'Allemand, médecin-cheffe de l'hôpital pédiatrique de Suisse orientale et co-présidente de l'association obésité de l'enfant et de l'adolescent, critique: «De nos jours, les gens ont encore tendance à attendre trop longtemps avant de prendre des mesures lorsqu'elles sont confrontées à des enfants en surpoids.» Et d'ajouter: «Les médecins qui souhaitent aider et intervenir rapidement sont souvent critiqués.»
La doctoresse dénonce non-seulement le fait qu'une petite minorité d'enfants jouïssent d'une thérapie structurée, pourtant efficace dans 70% des cas. Elle estime également qu'une intervention chirurgicale au niveau de l'estomac peut être utile voire même salvatrice, même chez les moins de 18 ans.
L'histoire de Fabian en bref
- En 2011, l'établissement scolaire de Fabian alerte pour la première fois les autorités pour leur signaler son surpoids, mais également la relation «symbiotique» qu'il entretient avec ses parents.
- En 2013, l'école refuse d'enseigner Fabian en raison de son grave état de santé. En été, les autorités retirent la garde du garçon à ses parents.
- Entre novembre 2013 et juillet 2014, il est soigné dans une clinique zurichoise. Il est ensuite placé dans diverses institutions, qui refusent les unes après les autres de le prendre en charge, prétextant notamment qu'elles n'ont plus les capacités pour le faire.
- Au printemps 2016, après un ennième séjour en clinique, Fabian est autorisé à renter vivre à la maison. Malgré les réticences de sa mère, qui craint une reprise de poids, Fabian intègre le domicile familial: la journée il doit se rendre dans un foyer, mais il est autorisé à rentrer chez lui le soir et les week-ends. Cette décision s'est révélée fatale, selon le journal, puisque l'ado a pris beaucoup de poids durant cette période-là.
- Arpès un petit séjour dans une clinique allemande, Fabian est finalement placé de manière provisoire dans le home pour personnes âgées à Winterthour dans lequel il est décédé. Il était censé y habiter jusqu'à ce qu'il puisse se faire opérer de l'estomac à l'hôpital de Zurich.
Une approche multidisciplinaire
Contacté, le CHUV précise que le problème de l'excès pondéral est bien connu. «Nous disponson au CHUV d'une consultation spécialisée qui s'adresse à cette catégorie de patients. Cependant, dans le cas de l'adolescent décédé, il semble qu'il y ait une problématique supplémentaire d'addiction, qui nécessite une approche différenciée», estime le Dr Michael Hauschild, médecin adjoint à l'unité d'endocrinologie, diabétologie et obésité pédiatrique du Service de pédiatrie. «L'approche thérapeutique doit être multidisciplinaire, incluant le pédiatre ou médecin de famille connaissant bien la famille et son entourage, le médecin spécialisé afin d'écarter des causes biologiques ou des complications médicales, des diététiciennes, ainsi que des psychologues. L'approche peut être individuelle ou en groupes et dépend du constat multidisciplinaire.»
En ce qui concerne l'idée d'une clinique fermée pour les cas sévères, Michael Hauschild rappelle que cette option est discutée «depuis un bon moment». «Elle pourrait être bénéfique au moins pour certaines situations très complexes, qui sont heureusement rares. Cependant, il reste important de garder la notion d'intégration socioculturelle du jeune atteint d'excès pondéral ainsi que de sa famille.»