EspagneL'Espagne rompt «le pacte du silence», 70 ans après la guerre civile
Il aura fallu plus de trente ans de démocratie à l'Espagne pour briser «le pacte du silence» conclu après la mort de Franco par les frère ennemis de la guerre civile, au nom de la réconciliation nationale.
Le juge Baltasar Garzon a apporté jeudi le premier concours de la justice espagnole à un travail de mémoire longtemps reporté, en décidant d'enquêter sur les disparus de la guerre civile (1936-39) et de la dictature du général Francisco Franco (1939-75), victimes selon lui de «crimes contre l'humanité».
Le magistrat a ouvert une instruction visant à localiser et identifier plus de 100 000 victimes de la répression franquiste, dont les restes gisent dans des centaines de fosses communes. Selon les historiens, environ la moitié ont été fusillées sommairement dans les années qui ont suivi la victoire nationaliste.
Ce faisant, le juge a décidé, contre l'avis du parquet, de braver une loi d'amnistie des «crimes politiques» de l'époque, votée en 1977, deux ans après la mort de Franco, par souci d'apaisement.
Exigence assez récente
Cette enquête à l'avenir juridique incertain, constitue la dernière réponse des institutions espagnoles à une exigence citoyenne assez récente.
Ce n'est qu'au début des années 2000 que des associations proches des victimes républicaines ont relancé un débat que l'Espagne moderne, prospère démocratie intégrée à l'Union européenne, croyait avoir définitivement réglé pendant l'époque de sa «transition» vers la démocratie.
Alors que dans beaucoup de villages, les événements de cette sombre époque demeurent un sujet tabou pour de nombreuses personnes âgées, ces associations ont réclamé avec de plus en plus d'insistance le concours de l'Etat pour réhabiliter les victimes oubliées du franquisme.
Sans subventions au départ, sur la base de témoignages, elles ont commencé à ouvrir de nombreuses fosses communes au bord des routes et à déterrer des squelettes, dont les crânes portent souvent un large trou, provoqué par le tir dans la nuque.
L'Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH) a été la première à mener des fouilles. C'est elle qui a effectué la plupart des 4000 exhumations pratiquées en Espagne depuis 2000 sur plus de 170 fosses.
Loi de «Mémoire historique»
Sous la pression de ces associations, le gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero, petit-fils d'un combattant républicain fusillé, a fait adopter en 2007 une loi controversée dite de Mémoire historique.
Cette loi visant à réhabiliter moralement les victimes républicaines engage notamment l'Etat à aider à la localisation et à l'exhumation des disparus, prévoit des compensations financières pour leurs familles, et le retrait des symboles franquistes des édifices publiques.
Signe que les plaies sont loin d'être refermées, cette loi a accouché dans la douleur. L'extrême-gauche a reproché au gouvernement de refuser d'annuler les procès sommaires des tribunaux franquistes, déclarés seulement illégitimes, alors que la droite accusait M. Zapatero de «rouvrir inutilement les blessures du passé».
Le doyen de la politique espagnole, le sénateur Manuel Fraga, fondateur du Parti populaire (PP, droite) et ex-ministre de Franco, a qualifié de «gravissime erreur» la décision du juge Garzon, au nom de l'amnistie de 1977.
L'Espagne est «mûre»
L'historien Angel Bahamonde estime quant à lui que la démarche du juge Garzon «ne signifie pas rouvrir des blessures mais représente au contraire le remède nécessaire pour les cicatriser». Selon lui, l'Espagne est désormais mûre pour instruire le procès politique du franquisme.
«Comme historien et citoyen, j'aimerais beaucoup qu'un jour en Espagne, il y ait des stèles devant les bâtiments publics portant les noms des victimes de la guerre civile, par ordre alphabétique, sans préciser leur camp. Ce jour-là, ce sera une affaire définitivement réglée», ajoute-t-il.
(ats)