Criminels étrangersL'initiative de mise en oeuvre point par point
Les Suisses doivent se prononcer le 28 février sur l'initiative UDC dite «de mise en oeuvre» sur le renvoi des criminels étrangers. Un texte controversé.
- par
- Christine Talos

Les étrangers criminels vont-ils être expulsés automatiquement à l'avenir? Verdict le 28 février.
Le 28 février, les Suisses devront se prononcer sur l'initiative UDC de mise oeuvre du renvoi des criminels étrangers. Celle-ci prévoit l'expulsion automatique des délinquants selon un catalogue précis. Mais le texte contrevient à l'Etat de droit pour tous les partis, sauf l'UDC bien sûr. On fait le point.
On a déjà voté le sujet, pourquoi une nouvelle votation?
Effectivement, les Suisses ont approuvé en novembre 2010 par 52,3% des voix une première initiative de l'UDC «Pour le renvoi des criminels étrangers» (elle entrera en vigueur si la nouvelle initiative est rejetée). Mais le Parlement a pris son temps pour élaborer la loi d'application. Selon celle-ci, seuls les crimes les plus graves justifient une expulsion automatique. Les Chambres l'ont en outre complétée avec une clause de rigueur, qui laisse aux juges une marge de manoeuvre afin de respecter le principe de proportionnalité. Ce qui leur permet donc de faire des exceptions si le renvoi d'un étranger crée un cas de rigueur grave pour lui. Pour l'UDC, c'est clair: une expulsion ne doit plus être prononcée obligatoirement, comme elle le souhaitait. Le parti, estimant que la Berne fédérale, trop laxiste, refusait de mettre fidèlement en oeuvre son premier texte, a donc lancé en 2012 déjà une nouvelle initiative.
Que demande la nouvelle initiative?
L'UDC exige désormais que tout un cataloguede délits méritant l'expulsion soit inscrit noir sur blanc dans la Constitution. On y trouve les meurtres, viols, traite d'êtres humains, trafic de drogue, mais aussi abus de confiance, vols, violation de domicile, dommages à la propriété, fabrication de fausse monnaie ou escroquerie à l'aide sociale ou aux assurances sociales. Le texte introduit aussi la notion de récidive. Il demande que tout étranger condamné pour lune de ces infractions et s'il a déjà été condamné au cours des 10 ans précédents soit reconduit aux frontières. En outre, il propose aussi l'automatisme: plus besoin de tribunal pour justifier une expulsion, une simple ordonnance pénale du Ministère public suffit, quelle que soit la gravité de la peine prononcée. Enfin, l'initiative précise que les dispositions qui régissent l'expulsion et leurs modalités d'exécution priment les normes du droit international qui ne sont pas impératives.
Qui est contre?
Tous les partis ou presque, y compris les Chambres et le Conseil fédéral ainsi que de nombreuses ONG. Fait remarquable: en décembre, l'ensemble du Conseil des Etats, à l'exception des cinq élus UDC et de lindépendant Thomas Minder, a signé une déclaration commune contre ce texte jugé «antidémocratique» et «qui risque de bouleverser les institutions». Les sénateurs accusent l'UDC de contourner le processus législatif en soumettant au peuple des dispositions qui constituent une modification directe du Code pénal. Et ce alors que l'initiative a été lancée avant que le Parlement ne rende son projet de loi.
Quels sont les arguments des opposants?
La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga a résumé les principaux griefs des opposants avant Noël. Selon elle, le texte jugé «antidémocratique», «contraire aux droits fondamentaux» et «dangereux pour la stabilité de la Suisse», vise à renvoyer du territoire tous les étrangers condamnés, même pour des délits mineurs. «Cela revient à faire des étrangers des êtres de seconde classe», a souligné la ministre socialiste. Celle-ci a aussi estimé que l'initiative du 28 février était 2x plus sévère que la première puisqu'elle veut inclure également des délits passibles de sursis. Autre argument avancé, cette fois d'ordre économique: Il suffirait quun employé étranger ait enfreint une loi, même légèrement, pour quil doive quitter le pays, ce qui poserait un gros problème aux employeurs. Enfin, les opposants redoutent aussi les conséquences pour la libre circulation. Un oui pourrait en effet compliquer davantage la donne avec nos relations avec Bruxelles, car le texte contrevient à certains engagements européens, selon eux.
On a beaucoup parlé des secondos, pourquoi?
Selon Simonetta Sommaruga, l'initiative revient à donner au peuple le pouvoir d'expulser «sans jugement ni prise en compte des circonstances particulières», des personnes qui sont nées et vivent depuis toujours en Suisse, et ce pour des délits mineurs, par exemple des vols ou des déprédations. Du coup, le professeur de droit et conseiller national Hans-Ueli Vogt, pourtant UDC, est monté au front pour défendre les «secondos». Il a estimé début janvier que quiconque né en Suisse ne devrait pas être expulsé, même en cas de oui, semant ainsi la zizanie au sein de son parti, au point que Christoph Blocher a dû monter au front pour désavouer son élu. Mais nombre de grands noms UDC estiment que Vogt n'a pas tort.
Est-ce que l'on a des chiffres sur les expulsions potentielles?
Nettement plus d'étrangers seront renvoyés avec la nouvelle initiative qu'avec le texte concocté par le Parlement après la première initiative. Selon l'Office fédéral de la statistique, 2195 étrangers au bénéfice d'un permis B ou C devraient être renvoyés selon les critères du nouveau texte, alors qu'ils seraient 1088 si c'est la solution des Chambres qui est appliquée. Une différence qui s'explique par le fait que la liste des délits mentionnés dans l'initiative de mise en oeuvre est plus étendue. De plus, les récidivistes seraient aussi expulsés, ce que ne prévoit pas la variante parlementaire. Enfin, si l'on prend en compte tous les permis de séjour, 10'210 personnes seraient renvoyées selon la nouvelle initiative de l'UDC et 3863 sur la base de la solution des Chambres fédérales.
Une tendance au oui se dessine
Selon un premier sondage paru le 27 décembre, à 2 mois donc des votations, 55% des Suisses approuveraient l'initiative de mise en oeuvre. Mais 20,5% des sondés se disaient indécis tandis que 24,5% ont indiqué qu'ils voteraient non. Raison pour laquelle tout l'échiquier politique est en ébullition et que pas moins de 3 comités, (un collectif d'ONG, un comité de gauche et une coalition de droite emmenée par le PR) vont se battre jusqu'au bout contre le texte.