Harcèlement sexuelL'omerta règne dans les universités suisses
Regards malsains, réflexions déplacées, blagues graveleuses, les hautes écoles romandes n'échappent pas au harcèlement.

Peu de chiffres existent sur le harcèlement sexuel en Suisse. Dans les universités, il n'a même jamais fait l'objet d'une étude approfondie.
Face au harcèlement sexuel sur le lieu de travail, les victimes n'osent souvent pas porter plainte. Les universitaires ne font pas exception à la règle, même si depuis quelques années leurs employeurs commencent à prendre des mesures.
«L'institut avait organisé une retraite de deux jours à la montagne. Je m'y étais rendue. De même que ce professeur. Alors que je me penchais pour récupérer des boissons à un bar, il m'a tapé trois fois sur les fesses. Surprise, je le confronte. Il ne voit pas le problème et sourit. Je lui tourne le dos. Il recommence», raconte Valentine*, ancienne doctorante à l'Université de Lausanne (UNIL).
L'épisode n'était pas le premier du genre. Après des regards malsains, des réflexions déplacées, des blagues graveleuses, le professeur lui avait déjà tapé sur les fesses.
Une seule plaignante
Valentine se lance alors dans une procédure administrative. L'enquête démontre non seulement qu'il y a eu harcèlement sexuel, mais également que plusieurs femmes ont été victimes du même professeur.
«Il a envoyé des mails déplacés à une collègue. Il faisait s'asseoir une technicienne sur ses genoux et la caressait. Il a proposé des relations sexuelles à plusieurs autres collègues», énumère l'ancienne assistante.
Et pourtant, Valentine a été la seule à se constituer partie plaignante. «Les autres femmes avaient peur pour leur carrière. Elles ont seulement été entendues en tant que témoins, voire ont carrément refusé de parler».
Hiérarchie et dépendance
«Peu de personnes nous signalent un harcèlement sexuel. Quand elles le font, c'est sous le sceau du secret. Impossible alors d'agir», confirme Brigitte Mantilleri, directrice du Service égalité de l'Université de Genève (UNIGE).
Une appréhension qu'elle explique par la forte hiérarchisation de l'université. «Plus une institution est hiérarchisée, plus il y a de dépendances. Et plus il y a de dépendances, plus il y a de risques de vengeances des personnes accusées.»
Les universités réfléchissent également à deux fois avant de se séparer d'un professeur en raison des conséquences financières. Dans les branches scientifiques, par exemple, les fonds attribués à un laboratoire sont liés à un professeur. S'il est renvoyé, c'est le laboratoire tout entier qui ferme.
A Lausanne, suite à l'enquête administrative, «le rectorat a interdit au professeur de diriger un groupe scientifique pendant deux ans. Or, cette sanction n'a jamais été appliquée», s'insurge Valentine. «Il a juste été déplacé dans un autre institut.» Autre son de cloche du côté de l'UNIL: s'il confirme le transfert, le vice-recteur Martial Pasquier assure également que «des sanctions importantes et proportionnées ont été décidées et appliquées».
Légitimation du harcèlement
Faute de plaintes formelles ou de véritables sanctions, «les auteurs se sentent légitimés de harceler leurs victimes», souligne Brigitte Mantilleri. Les universités ont toutefois commencé à prendre des mesures pour endiguer le harcèlement sexuel et moral.
Bâle a mis sur pied une campagne de sensibilisation et Genève lui emboîtera le pas dès novembre. Des séances d'information sont organisées et des lettres d'information envoyées aux collaborateurs de l'université de Fribourg. Outre un site d'informations déjà disponible, des formations pour cadres et enseignants sont prévues à Lausanne. Et une médiatrice supplémentaire a été engagée.
Manque d'informations
Des mesures suffisantes? «L'université a fait la moitié du chemin. Mais ce n'est pas assez», martèle Dominique Gigon, secrétaire général de l'Association du corps intermédiaire et des doctorant.e.s de l'UNIL (ACIDUL).
L'université devrait, selon lui, créer une structure dédiée au harcèlement, où les victimes potentielles pourraient s'informer et les victimes avérées être accompagnées. «Cette structure serait aussi chargée de suivre l'évolution du phénomène, car pour l'instant l'UNIL n'est en mesure de fournir aucun chiffre.»
Un avis qui n'est pas partagé par tout le monde. «Je crois beaucoup à la prévention. Certains professeurs, témoins d'agissements déplacés, nous ont dit vouloir intervenir, mais ne pas savoir quoi faire», affirme Brigitte Mantilleri.
Valentine rapporte, de son côté, avoir eu beaucoup de mal à trouver des informations. «Le médiateur m'a affirmé qu'on ne pouvait qu'engager une procédure civile. Un an après les faits, j'ai appris que j'aurais pu porter plainte au pénal.» L'expérience de l'ex-doctorante suggère ainsi que ces mesures d'information et de prévention, quoique modestes, semblent être un bon début.
* nom connu de la rédaction (nxp/ats)