Affaire Tinner: La CIA a tenté d'«étouffer» l'affaire

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Affaire TinnerLa CIA a tenté d'«étouffer» l'affaire

La Suisse a été à la fois complice et victime des Etats-Unis dans l'affaire Tinner.

Urs Tinner, fils de Friedrich, un scientifique proche du "père" de la bombe atomique pakistanaise Abdul Qadeer Khan, est accusé d'espionnage.

Urs Tinner, fils de Friedrich, un scientifique proche du "père" de la bombe atomique pakistanaise Abdul Qadeer Khan, est accusé d'espionnage.

Selon un nouveau livre, Washington a fait pression pour empêcher une inculpation de Friedrich Tinner et de ses fils en raison de leurs affaires avec le père de la bombe atomique pakistanaise, Abdul Qadeer Khan.

Ce souhait sera satisfait le 14 novembre 2007, lorsque le Conseil fédéral décide de détruire les actes de l'affaire Tinner, écrivent les auteurs du livre «Fallout» (»Retombées radioactives - la véritable histoire de la guerre secrète de la CIA contre le trafic nucléaire»).

«La chance de trouver une solution qui permette des poursuites des coupables et empêche la prolifération nucléaire a été détruite par l'intervention de la CIA et l'administration Bush», commentent les auteurs du livre, les journalistes américains Catherine Collins et Douglas Frantz.

«Perquisition» chez les Tinner

«Les Américains ont également usé de leur influence pour persuader les Suisses d'abandonner le projet de poursuivre six agents de la CIA pour espionnage», ajoutent-ils. Ces agents s'étaient introduits en 2003 au domicile de Marco Tinner pour copier les données contenues dans ses ordinateurs.

Mais ils ont laissé sur place les données dangereuses de «contrebandiers nucléaires connus» - comme les plans d'une bombe atomique chinoise datant des années 1960 ou d'autres issus du programme nucléaire pakistanais. Des éléments qui auraient pu être transmis «d'un simple clic de souris», critique le livre.

Les auteurs mentionnent aussi des actions de l'agence centrale du renseignement (CIA) hors de Suisse visant à «étouffer» l'affaire. La CIA avait des raisons de protéger les Tinner: elle doit protéger ses indicateurs si elle veut en recruter d'autres, insistent les auteurs du livre. Selon «Fallout», Urs Tinner travaillait dès 1999 pour la CIA. Son père et son frère ont été recrutés plus tard.

Cacher ses échecs

L'objectif principal de la CIA a été de cacher ses propres échecs. Lorsqu'elle a réussi fin 2003 avec l'aide d'Urs Tinner à mettre un terme au programme nucléaire libyen, la CIA avait besoin urgemment d'un succès. Elle était alors critiquée pour ses renseignements sur les éventuelles armes de destruction massives en Irak et de son incapacité à empêcher les attentats du 11 septembre 2001.

Sans parler du Pakistan: Abdul Qadeer Khan, employé par le consortium anglo-germano-néerlandais d'uranium URENCO, était depuis 1975 dans le viseur des services de renseignement. Le service de sécurité intérieur néerlandais le soupçonnait de planifier un vol de centrifugeuses. Mais la CIA avait alors suggéré aux Néerlandais de ne pas intervenir contre lui, selon le livre.

Résultat: Islamabad a fait exploser sa première bombe atomique en 1998. Khan a ensuite livré son savoir-faire à l'Iran, la Corée du Nord, la Libye et, selon les soupçons, à un quatrième client. Les auteurs se disent convaincus que ce quatrième client aurait pu être identifié avec l'aide des documents liés à l'affaire Tinner.

Mais la plupart des traces du réseau Khan ont été effacées et, avec elles, la chance de rendre le monde plus sûr, déplorent les deux journalistes, qui ont consacré un livre à Khan (»Le jihadiste nucléaire»).

Critiques contre le Conseil fédéral

Les deux experts contredisent sur ce point le Conseil fédéral. Les Sept sages ont expliqué avoir décidé de détruire ces documents par le risque qu'ils constituaient. Mme Collins et M. Frantz se demandent toutefois pourquoi tout a été détruit, y compris les listes de livraison ou les documents de voyage, et pas uniquement les plans pour l'enrichissement d'uranium ou les armes atomiques.

Le rapport de la délégation des commissions de gestion (DélCdG) aux Chambres fédérales a apporté déjà en janvier 2009 des réponses. Le Département fédéral de justice et police (DFJP) n'a informé le Conseil fédéral que par étapes et seulement lorsque «le besoin d'agir est devenu urgent», écrivait alors la DélCdG.

Lorsque le gouvernement a jugé urgent de détruire les documents, il restait peu de temps pour séparer les moyens authentiques de preuve de ce qui était dangereux. Selon la DélCdG, Berne aurait pu sécuriser les preuves jusqu'à la fin de la procédure liée aux Tinner ou les transmettre aux Etats-Unis ou à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

Blocher une «version gaie» de Cheney

Le livre, qui prend comme point de départ le rapport de la DélCdG, évoque en détail les interventions américaines. Des détails qui constituent deux faiblesses du livre.

Les auteurs laissent parfois leur imagination prendre le pas, probablement pour donner de la couleur à l'histoire. Ils parlent ainsi des motivations de l'ex-ministre de la justice Christoph Blocher - qualifié de «version gaie» de l'ancien vice-président américain Dick Cheney -, mais sans jamais avoir parlé avec lui. Ils ne sont également pas en mesure de citer de nombreuses sources. (ats)

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