Suisse romande: «La classe moyenne inférieure a plongé dans la précarité»

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Suisse romande«La classe moyenne inférieure a plongé dans la précarité»

Le renchérissement de la vie étend les filets de la précarité. Selon le Centre social protestant, le seuil actuel dépasse celui d’avant-Covid avec notamment des travailleurs dont les revenus dépassent à peine les charges.

Avec une inflation limitée à 3,4% contre 8,5% dans la zone euro, une baisse des demandes d’aide sociale et du chômage, le tableau socio-économique semble plutôt rassurant en Suisse. Mais, sur la base des réalités collectées sur le terrain, le Centre social protestant (CSP) conseille de ne pas se fier aux apparences. «Les indicateurs de l’aide directe et privée laissent apparaître une aggravation de la précarité», a déclaré Bastienne Joerchel, directrice du Centre social protestant Vaud.

Aide financière très sollicitée

De Genève au Jura en passant par Vaud et Neuchâtel, «le recours à l’aide en denrées alimentaires explose», selon les CSP romands. Une augmentation de la demande d’aides financières pour le paiement de charges incompressibles, à commencer par les loyers et les frais de santé, a également été constatée. Dans le canton de Vaud, années de pandémie non comprises, les montants de l’aide financière du CSP ont plus que doublé entre 2019 et 2022. La situation est quasi similaire ailleurs en Suisse romande, à l’exception du CSP Berne-Jura. «Nos centrales téléphoniques sont prises d’assaut avec une dizaine d’appels simultanés et en continu», relève Caroline Regamey, chargée de politique et action sociales du CSP Vaud. 

«Aide directe plus acceptable»

Malgré une hausse de la quantité d’aliments distribués en septembre 2022 par rapport à 2021, la Centrale alimentaire de la région lausannoise disait ne pas parvenir à répondre à l’ensemble des demandes.

La distribution d’aide alimentaire assurée par les Colis du cœur, à Genève, a également presque doublé lors de la première semaine de février 2023 par rapport à avant la pandémie. Cette augmentation émane essentiellement de Suisses.

«On se demande si la pandémie n’a pas rendu l’aide directe plus visible et sa sollicitation plus acceptable», analyse le CSP.  Cette aide a également la particularité d’offrir un accès plus étendu et de permettre à certaines personnes de rester «sous le radar des administrations publiques».

Durant la pandémie, une queue de plus d’un kilomètre lors d’une distribution de denrées alimentaires à Genève avait fait le tour du monde. 

Durant la pandémie, une queue de plus d’un kilomètre lors d’une distribution de denrées alimentaires à Genève avait fait le tour du monde. 

LMD

Des pistes

«Il ne faudrait pas que les pans entiers de la population sortis de l’ombre lors de la pandémie retournent dans l’invisibilité. Pour des politiques sociales adaptées, la précarité doit être documentée», ont préconisé les CSP romands. Ils demandent aussi une harmonisation de l’aide sociale entre les cantons, ainsi qu’une adaptation des subsides d’assurance maladie à l’augmentation des primes et un soutien accru aux travailleurs dont les revenus se situent juste au-dessus des barèmes de l’aide publique. Les CSP souhaitent également «faire primer l’accès aux aides sociales sur le permis de séjour».

Témoignages d’un Neuchâtelois et d’une Genevoise

Emmanuel* cumule les difficultés depuis 2019. Ce Neuchâtelois divorcé est bénéficiaire de l’aide du CSP. Après un divorce coûteux, il a sombré dans l’endettement. La maladie est venue s’ajouter à la liste. Emmanuel a été licencié à cause des problèmes économiques ayant frappé le secteur horloger durant la pandémie. «Aujourd’hui, il a retrouvé du travail, rembourse ses dettes mais il garde un œil inquiet sur l’augmentation du coût de la vie», observe le CSP Neuchâtel. Maria*, une quadra hondurienne, a elle aussi connu un parcours compliqué. «J’étais pédopsy au Honduras. Après ma séparation avec un officier, en 2011, j’ai trouvé refuge à Genève pour sauver ma peau.» Elle décrit sa traversée du désert. «Mon diplôme n’étant pas reconnu, j’étais nounou sans papiers. Mon fils m’a rejointe en 2016. Jusqu’en 2021, je gagnais 1950 fr. net par mois et je partageais avec mon ado une chambre sous-louée à 1200 fr.» Désormais, Maria est en train de sortir la tête de l’eau. «J’ai un permis B, un salaire net de 3700 fr. Grâce au CSP, j’ai un appartement à 1030 fr. par mois. Je suis en train de me mettre à jour sur le plan financier. Mon rêve est de faire valider mon diplôme de psy.»

*Prénoms d’emprunt

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