Canton de FribourgLa dissimulation, le «souci» des pédophiles de Marini
«Il faut dire aux victimes que ce n'était pas de leur faute, mais de la nôtre», a déclaré l'évêque Morerod à la RTS.

Mgr Charles Morerod s'est exprimé en conférence de presse ce 26 janvier 2016 à l'occasion de la publication du rapport accablant l'ex-pensionnat de la Broye fribourgeoise.
D'après les historiens chargés de faire la lumière sur des faits qui remontent aux années 1929 à 1950, l'Eglise a tout fait pour étouffer l'affaire.
La recherche a permis de répertorier 21 enfants et adolescents sexuellement abusés et 11 abuseurs allégués. Mais «il y a plus de victimes que ne le disent les statistiques», a souligné l'évêque Charles Morerod du diocèse de Fribourg, Genève et Lausanne lors de la présentation du rapport d'experts mardi. Un avis partagé par des anciennes victimes présentes à la conférence de presse.
La conclusion des chercheurs est on ne peut plus claire: «La convergence des témoignages et les révélations des archives attestent que des maltraitances ainsi que des abus sexuels graves et répétés se sont produits à l'Institut Marini durant la période étudiée et que le souci principal des responsables a été de les dissimuler», peut-on lire dans le résumé du rapport.
Appel à témoins
L'évêque avait demandé cette étude il y a un an, après une de ses rencontres avec des victimes placées en institution catholique. Le groupe de recherche a mené son enquête dans des fonds d'archives, notamment de l'Evêché et de l'Etat, et sur la base de quatorze témoignages de victimes ou de parents de victime. Il s'est penché en particulier sur la période de 1929 à 1950, alors que l'Institut était sous la responsabilité directe de l'évêché.
Anne-Françoise Praz, professeure associée à l'Université de Fribourg, et Rebecca Crettaz, diplômée de la même institution, ainsi que Pierre Avvanzino, professeur honoraire à la Haute école de travail social et de la santé de Lausanne ont mené cette recherche «en totale liberté», comme l'a souligné Anne-Françoise Praz devant les médias.
Pierre Avvanzino s'est chargé des entretiens avec les témoins, sous la forme de récits de vie recueillis auprès d'anciennes victimes ou proches de victimes. Tous ont répondu à un appel à témoins.
Manque de contrôle
Un des objectifs était de comprendre comment de tels abus ont pu se produire et perdurer aussi longtemps, souvent en toute impunité. Pour Mme Praz, l'institut lui-même, mais aussi l'Eglise et plus largement la société fribourgeoise d'alors ont favorisé les conditions de ces dérives.
«Tous les témoins ont insisté sur l'asymétrie complète entre leur impuissance et les pouvoirs des abuseurs», explique Mme Praz. Ce déséquilibre était renforcé par le type d'institution - grande, autoritaire, confessionnelle -, par un manque de contrôle par les responsables, notamment le Comité de direction, ainsi qu'un «manque criant» de formation à l'intention des surveillants laïcs.
Dix ans avant de déplacer un prêtre
L'Eglise pour sa part avait pour premier souci d'éviter le scandale, ont constaté les chercheurs en épluchant des correspondances internes et les comptes-rendus des deux seuls procès (1954 et 1956). Ses stratégies: enquêtes internes secrètes, accusations de calomnie, pressions pour obtenir des rétractations. Lorsque les rumeurs concernant un prêtre se faisaient trop insistantes, il était déplacé.
«Ce qui est frappant, c'est qu'il a fallu 10 ans dans chaque cas avant que deux directeurs successifs soient déplacés», souligne Anne-Françoise Praz. Enfin, la société fribourgeoise de l'époque était caractérisée par un manque d'ouverture, notamment sur la sexualité, une place prépondérante de l'Eglise catholique et des liens forts entre le clergé et le gouvernement conservateur.
Les garçons placés à Marini étaient majoritairement âgés de 10 à 14 ans lors de leur arrivée, souvent issus de familles en difficultés économiques et sociales et souvent placés par des autorités. Nombre d'entre eux étaient loin de leur famille, venant par exemple de Suisse alémanique.
«Chape de silence»
Pour Mgr Morerod, cette enquête montre bien «la chape de silence et la complicité généralisée» qui ont perpétué tant de souffrances. «Je ne crois pas que l'on puisse éviter complètement les abus sexuels, mais on peut faire le maximum pour les prévenir et il faut en parler», a-t-il dit. Et l'évêque de rappeler les commissions mises en place, au sein de l'Eglise ou neutres.
«Il faut dire aux victimes que c'est vrai. Qu'elles n'ont pas menti. Que ce n'était pas de leur faute, mais de la nôtre», a déclaré l'évêque Morerod à la RTS.
Evoquant les abuseurs de l'Institut Marini en demandant pardon, Mgr Morerod a affirmé que «ces prêtres sont morts, heureusement». Et d'ajouter qu'il est dommage qu'ils n'aient pu être jugés à l'époque, qu'aucune victime n'ait osé porter plainte.
Fondé en 1881, l'Institut Marini a été dirigé par des prêtres diocésains dès 1929 et dépendait directement de l'évêque. Repris dans les années 1960 par les Pères salvatoriens, il a fermé ses portes en 1979. (nxp/ats)