Procès PolitkovskaïaLa justice russe sur le banc des accusés
Le procès du meurtre de la journaliste Anna Politkovskaïa met en relief les carences du système judiciaire russe toujours très dépendant du pouvoir politique.
Une situation qui prévaut en dépit des promesses du président Dmitri Medvedev de renforcer l'Etat de droit.
Le tueur et le commanditaire jamais retrouvés, quatre complices présumés acquittés par les jurés qui n'ont reconnu qu'une seule évidence: la journaliste a bien été assassinée le 7 octobre 2006. Tel est le résultat du marathon judiciaire pour élucider cette affaire retentissante.
«Le résultat du procès Politkovskaïa est abominable pour la Russie, un signal aux journalistes et défenseurs des libertés qu'ils sont sans défense et aux tueurs potentiels qu'ils peuvent y aller en tout impunité», résume Tatiana Lokchina, responsable de Human Rights Watch en Russie.
Elle pointe du doigt «tout un éventail des problèmes», de «l'incompétence des enquêteurs» au «manque de bonne volonté des autorités», citant à titre d'exemple la «perte» de pièces à conviction clé au cours du procès.
Sergueï Sokolov, rédacteur en chef de «Novaïa Gazeta» où travaillait Anna Politkovskaïa et qui mène sa propre enquête, dénonce lui «le système (étatique) pourri».
Corruption à tous les étages
«Lorsqu'un journaliste mène une investigation, il se heurte à des policiers de quartier corrompus, ensuite à leurs supérieurs corrompus. C'est un système où tous sont liés et où l'ennui de l'un risque d'entraîner des problèmes pour toute la hiérarchie», commente-t-il.
Selon lui, le «tueur a réussi à s'enfuir à cause d'un nombre incroyable de fuites du ministère de l'Intérieur et des services spéciaux». Pour Mara Poliakova, présidente du Conseil juridique indépendant, l'acquittement s'explique par le fait que l'affaire était jugée par des jurés «qui ont du bon sens et rejettent les faibles arguments des procureurs».
Les tribunaux, eux, «sont laxistes quant à la qualité des preuves. Le système fonctionne comme à l'époque soviétique où le rôle des juges était d'aider les forces de l'ordre à élucider le maximum de crimes à tout prix et non à défendre le droit», ajoute l'experte.
«Les requêtes des avocats de la défense sont systématiquement rejetées sans explication», poursuit Mme Poliakova. Et les Russes comprennent toujours leurs droits à la soviétique, assimilant les tribunaux à des organes répressifs, selon une récente étude du centre sociologique indépendant Levada.
Politkovskaïa «marginale»
Ironie du calendrier, le verdict dans l'affaire Politkovskaïa a été prononcé le jour où la justice russe a fixé le début des audiences pour le nouveau procès de l'ex-patron du groupe pétrolier Ioukos Mikhaïl Khodorkovski, condamné à huit ans de prison en 2005 dans une affaire dénoncée à l'époque comme politique.
«Lorsque l'Etat ne veut pas de coupable, tout se passe» comme dans le cas Politkovskaïa, estime M. Sokolov. «Il y a un mois, l'avocat Stanislav Markelov et la journaliste Anastassia Babourova, elle aussi de «Novaïa Gazeta», ont été tués en plein centre de Moscou. Qu'a fait l'enquête?» s'interroge Mme Lokchina.
«Quelques jours après le meurtre de Politkovskaïa, le président de l'époque, Vladimir Poutine, avait déclaré qu'elle était marginale. Ce cynisme a choqué les journalistes et défenseurs des droits de l'Homme», rappelle Tatiana Lokchina.
«Quand Markelov et Babourova ont été tués, Medvedev est resté silencieux en expliquant plus tard qu'il ne voulait pas influencer l'enquête. C'est aussi très cynique», ajoute-t-elle. «Ce n'est pas un Etat de droit», conclut la militante en référence à la priorité affichée par M. Medvedev de lutter contre «le nihilisme jurique» et bâtir «un Etat de droit». (ats)