Genève: La loi sur la police passe sur le fil du rasoir

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GenèveLa loi sur la police passe sur le fil du rasoir

Quarante-deux voix d'écart ont donné la victoire au Département de la sécurité de Pierre Maudet, dimanche après-midi. Le MCG a demandé un recomptage des votes.

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Marine Guillain/ats

«C'est très stressant, et le résultat se resserre encore!» s'exclame Lisa Mazzone, présidente des Verts genevois. Le sort de la loi sur la police (Lpol) n'était pas encore scellé dimanche à 13h30. A 13h40, les 67 locaux de vote avaient été complètement dépouillés. Le résultat définitif est tombé: 50.02% de oui pour 49.98% de non. Quarante-deux voix d'écart.

«Un score serré avec le oui en tête, c'est le résultat idéal», sourit Carole-Anne Kast, présidente du Parti socialiste. Elle explique: «Nous avons donné à cette loi un oui de raison, mais pas un oui de coeur. Car cette loi est un peu meilleure que l'actuelle, mais il y a encore de nombreux points qui nous déplaisent, donc nous n'aurions pas voulu de large majorité. Le résultat doit faire réfléchir les deux camps, qui ont mené une lutte trop émotionnelle.»

Le président du PLR a lui aussi le sourire: «C'est une bonne surprise, car la campagne mensongère menée par le syndicat nous faisait craindre le pire», souligne Alain-Dominique Mauris, qui ajoute que c'est la première fois qu'il assiste à «une campagne aussi violente». Selon lui, le syndicat a largement dépassé son rôle. Il rappelle que le projet de loi sur la police n'est pas tombé du ciel: «Il est déjà en fonction dans d'autres cantons et il fonctionne. Il est temps de moderniser notre police, alors que là nous sommes sur un modèle des années 1950.»

«Toute la campagne a été jalonnée par des arguments fallacieux, des contre-vérités et de la personnalisation à outrance, relève Lisa Mazzone. Du coup, on a perdu de vue les enjeux de la loi, ce qui amène certainement à ce résultat si serré.» La présidente des Verts se réjouit néanmoins des aspects positifs à ses yeux qui découleront de ce résultat, tels que le port du matricule et l'importance donnée à la police de proximité.

«Je ne sais pas comment on va s'en sortir»

Le très faible écart est extrêmement positif aux yeux de Christian Antonietti, président de l'UPCP (syndicat de police). «C'est presque du 50/50. Nous avons été victimes d'une campagne médiatique très intense, mais heureusement, les gens ont eu l'intelligence de se renseigner correctement. Le peuple s'est prononcé et on fera avec. Mais c'est quand-même un choix difficile à accepter, je ne sais pas comment on va s'en sortir.» Le syndicaliste se dit amer et inquiet quant à la suite. Selon lui, le texte reste mauvais, et la police ne pourra pas fonctionner ainsi.

«C'est rageant de louper de si peu», soupire le président du MCG Roger Golay. Pour lui, cette loi n'est pas bonne car elle n'est pas rassembleuse: «Elle a divisé le canton en deux!» Dans un premier temps, le parti va demander à ce que les bulletins nuls soient vérifiés et à ce que les votes soient recomptés: «Je ne pense pas que ça changera quelque chose, mais un score si serré mérite bien une petite vérification», estime Roger Golay. Ensuite, après une la période de transition, le MCG veillera à ce que la loi soit bien appliquée et à ce que l'Etat tienne ses promesses. «On a eu affaire à un régiment de communicateurs meilleurs que tous les marchands de tapis de la planète réunis», ironise le président du parti

Pierre Vanek, d'Ensemble à Gauche, estime que le résultat n'est pas une victoire pour Pierre Maudet: «Il a peu de légitimité et c'est de sa faute, car il a usé de méthodes autoritaires.»

«C'est positif que cette loi soit passée. Mais ça le sera surtout si le syndicat et le conseiller d'Etat se mettent à table et discutent ensemble, afin de trouver des solutions», note un policier genevois. Pour le fonctionnaire, un profond malaise découle de cette votation et surtout de sa campagne: «Les partis et syndicats qui ont fait un gros remue-ménage là autour ont bien réussi leur travail. Ça a complètement dérapé. Ils ont pensé à leurs égaux avant de penser au peuple. Du coup, les gens étaient complètement perdus et ne comprenaient pas ce qu'il fallait voter.»

Votation historique

Le Président du Conseil d'Etat François Longchamp s'est dit «satisfait de cette issue positive». Il a noté que la votation sur la Lpol était historique, de par sa campagne agitée et ses oppositions violentes, et son résultat serré. Pierre Maudet a affirmé être soulagé. Du résultat, et de la fin de cette campagne. «Je me suis battu comme un lion, mais j'ai le sentiment de ne pas avoir été suffisamment soutenu», a estimé le conseiller d'Etat chargé du département de la sécurité et de l'économie (DSE). Selon lui, «il y aura un avant et un après le 8 mars. Ce n'était ni une loi contre la police, ni une loi pour la police, mais une loi sur la police pour la population». Le conseiller d'Etat espère que les relations avec les syndicalistes iront en s'améliorant.

Le oui a recueilli 55'758 suffrages, contre 55'716 pour le non. Un écart si faible, 42 voix, est historique. La participation au scrutin s'est élevée à 47,2%, une mobilisation dans la moyenne.

Organisation par spécialités

La police genevoise disposera désormais d'une organisation dite «en silos» (délimitation des services par spécialité), une structure qui a aussi été adoptée par d'autres polices. L'institution sera découpée en cinq entités. Parmi les nouveaux services figurent la police de proximité, la police routière et police-secours. La police internationale et la police judiciaire sont conservées dans l'organigramme. En revanche, la nouvelle loi sonne le glas pour la gendarmerie, qui disparaît après 200 ans d'existence. La nouvelle organisation doit, selon le gouvernement, renforcer «notablement l'efficacité de la police. Les adversaires de la réforme contestent cette vision des choses. Selon eux, la nouvelle structure créera «des doublons, des hiérarchies inutiles» et un cloisonnement, qui nuiront au travail des forces de l'ordre.

La nouvelle loi instaure aussi une formation unique de base pour l'ensemble des policiers, qui se spécialiseront ensuite dans les différentes filières. La mobilité interne des employés au sein de l'institution sera ainsi facilitée. Les policiers auront en outre l'obligation de porter le matricule. Par ailleurs, les postes de police seront placés sous vidéosurveillance, «afin de protéger les policiers contre les dénonciations abusives, mais aussi garantir le respect des droits des citoyens». Les syndicats de police, de leur côté, craignent une perte d'influence avec l'instauration d'une commission du personnel.

Résultats validés lundi soir

Contrairement aux élections, le recomptage des voix n'est pas automatique lors des votations, même si l'écart est infime. La commission électorale, qui contrôle tout le processus, devra valider les résultats lundi soir, avant que le Conseil d'Etat ne lui emboîte le pas mercredi, a expliqué la chancelière Anja Wyden Guelpa. Cette dernière n'a toutefois pas exclu la possibilité d'un nouveau dépouillement des bulletins des locaux de vote.

Votation menacée

La tenue de la votation sur la nouvelle loi sur la police a été menacée un certain temps. Un citoyen avait en effet contesté devant la justice le contenu de la brochure explicative distribuée aux citoyens. Celle-ci ne mentionnait pas clairement que les articles de la loi qui portent sur les moyens préventifs accordés à la police, et qui avaient été repris de l'ancienne loi, avaient été annulés par le Tribunal fédéral.

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