GenèveLa police développe l'entraînement virtuel
Pour l'instant simple prototype, la police cantonale et l'université de Genève travaillent main dans la main à un outil de réalité virtuelle complet pour l'entraînement de police.
- par
- Lucie Fehlbaum
La réalité virtuelle nécessite le port d'un casque et de gants connectés.
L'exercice semble usuel pour un policier en fonction: contrôler un individu dans une rue des Pâquis. Mais l'expert qui encadre l'apprenant se mue en dieu le temps de l'entraînement. C'est lui qui décide de l'humeur de l'homme contrôlé, le «plastron» en langage technique. C'est lui encore qui peut ameuter une foule pour troubler son élève. C'est même lui qui fait venir la nuit ou apparaître le jour. Sorcellerie ? Non, réalité virtuelle (RV). Le Centre de formation de la police genevoise développe, avec l'Université de Genève, un outil de formation en RV. Une première en Romandie. Encore au stade de prototype, le programme sera présenté mi-janvier au magistrat de tutelle des forces de l'ordre, Mauro Poggia.
Immersion sans danger
«La RV permet de travailler la tactique et les compétences psychosociales des policiers, explique Elisabeth Carrera, responsable pédagogie et qualité, qui chapeaute le projet pour la police. In fine, cela forme un tout.» L'écoute, la communication, la posture ou l'empathie sont donc entraînées à travers cet outil, qui pourrait, s'il convainc, être financé et mis en production.
L'idée est née en 2017. Séolane Bouchoucha, du service psychosocial de la police, débutait alors un doctorat sur la régulation du stress chez les policiers avec la réalité virtuelle. Sous la direction du Professeur David Rudrauf, des recherches sont menées au Campus Biotech. Elles visent notamment à intégrer à l'outil des capteurs physiologiques, pour mesurer le pouls et la transpiration. «Nous y avons vu une opportunité de développer cette technologie, explique Elisabeth Carrera. La RV permet une immersion sans danger dans une situation compliquée. Elle offre aussi des situations impossibles à simuler en pratique, comme les contrôles de nuit ou d'importants mouvements de foule.»
Manque de contact
C'est aussi ce qu'a apprécié le premier-lieutenant Roulin, qui a pu tester en avant-première le prototype. «On gagne en imprévisibilité. Contrairement à l'école de police, on ne connaît pas le plastron. Le programme nous ouvre également les portes de lieux inaccessibles pour nos entraînements, comme les écoles ou les centres commerciaux. Mais on perd en contact. Une cible humaine peut nous bondir dessus.» L'outil est donc pensé en complément. «La réalité virtuelle ne remplacera jamais les entraînements pratiques des policiers, c'est un plus, affirme Elisabeth Carrera. Un expert peut d'ailleurs préconiser un exercice pratique pour corriger un défaut remarqué grâce à la RV.»
Plusieurs scenarii
Actuellement, l'homme contrôlé aux Pâquis est la seule situation codée dans l'outil. Spray au poivre, pistolet, bâton ou menottes apparaissent à l'écran, façon jeu vidéo. «L'expert apporte un accompagnement constant, précise Elisabeth Carrera. Il voit en temps réel les actions de ses élèves en plus du film qui se déroule sous ses yeux. Toutes les sessions sont enregistrées en vue d'un débriefing.» Une manière aussi de prendre du recul face à sa performance.
Dans le futur, plusieurs développements sont espérés. La RV pourrait notamment faire ses preuves pour débriefer une situation dramatique, comme l'utilisation de son arme par un officier et «ne pas favoriser le traumatisme». «L'attention des équipes porte aujourd'hui sur le développement de la bibliothèque de scenarii, ajoute Elisabeth Carrera. Nous voulons plusieurs situations à la complexité variable.» Un gros travail académique se profile également. «Sans fondement scientifique, l'outil n'a pas d'intérêt, confie l'experte pédagogique. Ça ressemble à un jeu, mais ça n'en est pas un. S'il est mis en production, notre outil aura l'avantage somptueux d'être une boîte à outil riche d'enseignement. Sans le travail universitaire, il serait creux.»