SociétéLa Suisse, un refuge pour les «guérisseurs d’homos»?
Les associations LGBT+ suisses militent pour que les thérapies de conversion soient définitivement interdites, comme dans les pays voisins.

Adrian Stiefel, fondateur de l’antenne LGBT+ de l’Eglise protestante genevoise.
Les milieux LGBT+ suisses s’inquiètent de ce que le pays puisse devenir un refuge pour les adeptes des thérapies de conversion, des pratiques controversées qui visent à imposer l’hétérosexualité et qui sont déjà interdites dans de nombreux pays voisins. Le gouvernement suisse a promis il y a un an de se saisir du dossier et le Parlement va commencer à en débattre la semaine prochaine.
En Allemagne et en France, «ces tentatives de conversion sont déjà interdites, et des initiatives pour les interdire dans toute l’Union européenne sont en cours. Il faut absolument éviter que la Suisse devienne un refuge pour les «guérisseurs d’homos», demande l’association Pink Cross, qui défend les intérêts des hommes gays et bisexuels en Suisse.
Des représentants politiques et de la société civile ont pointé du doigt l’arrivée en Suisse de l’association Bruderschaft des Weges, après l’interdiction des thérapies de conversion en Allemagne. Cette association n’a pas répondu aux sollicitations de l’AFP. Elle affirme sur son site Internet ne pas proposer de «thérapies» de conversion mais être une «communauté chrétienne œcuménique d’hommes qui ont tous décidé de ne pas vivre leur homosexualité».
«Découvrir sa véritable masculinité»
En 2018, le Parlement européen a appelé les membres de l’UE à interdire ces thérapies, ce qu’ont fait Malte, la France, l’Allemagne et la Grèce. D’autres y songent, comme l’Espagne, la Belgique et le Royaume-Uni. Selon Philippe Gilbert, du Centre intercantonal d’information sur les croyances à Genève, on ne trouve plus de structures religieuses en Suisse employant les termes mêmes de «thérapies de conversion».
«On va entendre le terme d’accompagnement. Il y a un large spectre de pratiques: groupes de prière, imposition des mains, exorcisme dans certains cas, mais aussi des rencontres le temps d’un week-end entre hommes pour découvrir sa véritable masculinité», a-t-il expliqué à l’AFP.
«Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas à l’intérieur de certaines communautés religieuses ou de structures para-ecclésiales des accompagnements psycho-spirituels dans lesquels il y a une certaine violence exercée à l’égard d’individus à qui l’on peut suggérer voire imposer de travailler sur leur orientation sexuelle», a-t-il indiqué.
«Pression communautaire»
Les thérapies violentes, comme les électrochocs, ne sont pas pratiquées en Suisse, mais leur prohibition enverrait un avertissement, selon les milieux LGBT+. Adrian Stiefel, 45 ans, fondateur de l’antenne LGBT+ de l’Eglise protestante genevoise, souTop, souligne l’importance de «conscientiser» la société.
«C’est un problème ancré au sein de communautés pour la plupart religieuses qui condamnent l’homosexualité et qui ne laissent en réalité, à cause de cette pression communautaire, pas le choix à l’individu de pouvoir être libre», a-t-il affirmé à l’AFP.
Ayant grandi à Genève dans un milieu évangélique, il a pendant longtemps voulu «guérir» son homosexualité via des prières de groupes avec des pasteurs et des rencontres avec d’anciens homosexuels «soi-disant guéris». A 19 ans, il a suivi aux Etats-Unis, une semaine de «thérapie» avec un pasteur psychiatre mêlant la «psychothérapie à une forme d’exorcisme». Selon Adrian Stiefel, ces pratiques se font très souvent «dans un cadre d’accompagnement très bienveillant» qui rend difficile de réaliser qu’elles «ne sont pas normales».
Elevé aussi dans un milieu évangélique, Isaac de Oliveira, 25 ans, étudiant en histoire à Lausanne, a vécu dans sa jeunesse un «accompagnement pastoral» dans le canton du Valais, pour «évoluer vers l’hétérosexualité», suivi à ses 18 ans d’un séminaire de l’organisation Torrents de vie, avec des réunions hebdomadaires pendant près d’un an, incluant des louanges et des prières.
«La violence je la ressens maintenant»
«J’ai un cerveau qui a été modifié au fil des années pour poursuivre un idéal que je ne suis pas. La violence je la ressens maintenant, elle était camouflée derrière de l’amour qui était conditionnel», a-t-il dit à l’AFP. Les mesures de conversion ne sont pas le seul apanage des milieux évangéliques, bien que ces derniers soient régulièrement pointés du doigt dans les médias, selon divers observateurs.
Opposé aux «thérapies» de conversion, le Réseau évangélique suisse considère que légiférer n’est pas la bonne option, faisant valoir le droit à «l’autodétermination sexuelle» et l’importance de «l’accompagnement ecclésial et pastoral» quand la sexualité «engendre un conflit intérieur». «On touche à des bases de la liberté religieuse en voulant interdire de trop», a déclaré à l’AFP Stéphane Klopfenstein, pasteur et directeur adjoint du Réseau évangélique suisse.