Champel (GE): Le toxico au maillet plaide la rédemption en prison

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Champel (GE)Le toxico au maillet plaide la rédemption en prison

L'homme qui avait massacré son dealer en mars 2014 est jugé depuis mardi par le Tribunal criminel. Le Parquet décrit un vrai serpent.

Jérôme Faas
par
Jérôme Faas
Le cadavre avait été retrouvé au chemin Thury, à Champel (GE), derrière la Haute école de Santé.

Le cadavre avait été retrouvé au chemin Thury, à Champel (GE), derrière la Haute école de Santé.

photo: Kein Anbieter/20 minutes / jef

A l'entendre, la prison est une chance et son procès un rite expiatoire. Devant les juges du Tribunal criminel, J. cherche le salut. Mardi, face à la famille de la victime, il hasarde un narcissique: «Bonjour, je m'appelle J., je pense que ce moment est aussi important pour vous que pour moi». Il n'obtiendra pas l'absolution qu'il semble être venue quêter, mais continuera donner l'image d'un pénitent touché par une révélation. «Moi-même, j'ai besoin de cette audience.»

Défonce aux soirées techno

Il est sevré depuis onze mois, depuis ses aveux en prison. Au moment de son crime, cet habitant d'Annecy (F) fumait de l'héroïne «toutes les vingt à trente minutes». L'achèvement d'une descente aux enfers débutée à 14 ans: cannabis jusqu'à la majorité, puis, à 18 ans, décès du meilleur ami et découverte des soirées techno. Arrivent le LSD, l'ecstasy, les amphétamines. J. travaille, pourtant, comme tapissier. De 1999 à 2008, il est en couple et décroche. Puis survient la rupture, la dépression, et l'héroïne, conseillée par un collègue. «C'était pour couper la machine. L'héro, ça n'a rien de festif.»

Il vend le vélo de son filleul

De 2011 à 2014, il se drogue méthodiquement. Il perd tous ses mandats professionnels, engloutit chaque centime dans la poudre, finit par voler ses parents, puis par vendre le vélo de son filleul contre 5 grammes. Deux jours avant les faits, il décide de braquer ce dealer qu'il fréquente depuis quatre ans. Il n'a pas prévu l'après, mais, analyse-t-il a posteriori, il en a assez de «toute cette course à l'argent, cette double vie, cet état de santé, cet état de manque, ces mensonges. Je n'étais plus qu'une carcasse vide.»

«Il fallait que ça s'arrête. Ces cris...»

Il frappe pour assommer, assure-t-il, mais tout dérape. La victime ne perd pas connaissance. Elle râle. «Il fallait que je fasse quelque chose, que ça s'arrête. Je ne pouvais pas le laisser comme ça, il allait alerter les gens, et puis, ces cris... Je voulais qu'il s'arrête de souffrir. C'est paradoxal. Plus je faisais du mal, plus je m'enfonçait, c'était un vrai film d'horreur.» Le voici aux portes d'une très lourde peine de prison, mais il dit son soulagement. «J'ai l'impression de me retrouver comme avant. Les relations, le teint.» Sa double vie, juge-t-il, est derrière lui. Le voilà libre. «Le suivi thérapeutique, c'est la clé de voûte de mon changement. Avant, j'étais dans le déni.»

«Cesser d'ériger les toxicomanes en victimes»

Cet auto-portrait flatteur, le procureur Endri Gega l'a réduit en lambeaux. Il décrit un prévenu qui, des mois durant, nie. Impassible, intelligent, «il n'a de cesse de s'adapter aux éléments présentés». Ses aveux, arrachés neuf mois après les faits? «Ils ont plus été dictés par la solidité des preuves que par un travail introspectif ou le remord». Sa prise de conscience? «Elle est très faible. De toute la procédure, il n'a pas eu un seul mot pour la victime.» Son addiction, par ailleurs, «ne l'excuse nullement. Elle n'est que la conséquence de sa propre faute. Il faut cesser d'ériger les toxicomanes en victimes.»

Du prix de la vie

Reste la question de la qualité du défunt. «Peut-on, dans la fixation de la peine, tenir compte du fait que le défunt vendait de la drogue?, interroge le magistrat. Je souhaite vous inviter à réfléchir à la vie, au prix de la vie. Celle d'un homme riche vaut-elle plus que celle d'un homme pauvre? Celle d'un homme né dans un pays en proie au chaos vaut-elle moins que celle de celui qui a eu la chance de naître en Suisse? Cet homme-là méritait-il de se retrouver avec la cervelle éparpillée dans un parc lugubre? Evidemment non, car cet homme est d'abord le fils d'une mère, un mari, un père.»

Endri Gega a requis 18 ans de prison pour assassinat. Le verdict sera rendu jeudi soir.

Crâne en miettes

Une chaussette dans la bouche du défunt, sa tête criblée de 19 impacts, fendue en dizaines de morceaux: le 16 mars 2014 à 21h30, à Champel, un toxicomane français né en 1975 a tué avec un marteau son dealer, un Albanais de 30 ans. L'enjeu: 15 gr. d'héroïne. Longtemps, la justice piétine. En juin, le coupable est arrêté. Il niera jusqu'en décembre, son sang-froid générant, selon le Parquet, 184000 fr. de procédure, dont 50000 fr. d'analyses téléphoniques.

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