Genève«Les chauffeurs Uber vont enfin pouvoir défendre leurs intérêts»
Grâce à des outils de traitement des données novateurs, des employés espèrent obtenir des indemnités plus justes. Ces logiciels ouvrent de nouvelles perspectives en matière de droit du travail.

Des différences notoires ont été constatées entre les calculs réalisés par des experts et ceux d’Uber.
«Ce sont des outils révolutionnaires pour la justice», s’enthousiasme Me Francesco La Spada. Et pour cause, depuis quelques jours, l’homme de loi a accès à une mine d’informations inespérées pour défendre ses clients, des chauffeurs Uber. Ces derniers avaient jusqu’au 31 janvier pour décider s’ils acceptaient les indemnisations individuelles proposées par l’entreprise californienne pour solde de tout compte ou s’ils refusaient et portaient leur cas aux Prud’hommes. «Le problème, c’est que nous n’avions aucune visibilité sur les données des salariés (nbre d’heures réalisées, kilométrage etc.). Donc aucun moyen de savoir si les offres étaient à la hauteur du travail fourni.»
Des outils qui changent la donne
Qu’à cela ne tienne, en novembre dernier, lorsque le délai a été annoncé. Me La Spada et son confrère Me Fabrice Coluccia, qui défend également des chauffeurs Uber, se sont tournés vers l’Association PersonalData.IO et le spécialiste de la protection des données et mathématicien genevois, Paul-Olivier Dehaye. De leur collaboration sont nés deux outils. Le premier, «Horkos», permet de récolter, traiter et analyser les données afin de les rendre compréhensibles. Le second, surnommé «La Matrice», fait office de «super comptable» et permet de calculer les prétentions des employés.
Se réapproprier ses données
«On ne se rend pas compte de la masse d’informations que cela représente. Grâce à ces systèmes, nous avons pu retracer le parcours des employés sur les cinq dernières années en quelques heures. Si j’avais dû faire ce travail manuellement, cela m’aurait pris près d’un an pour un seul dossier», détaille Me Francesco La Spada. Selon lui, pas de doute, ces outils ouvrent de nouvelles perspectives en matière de droit du travail. «Les gens laissent des traces numériques un peu partout. Les employés vont pouvoir se réapproprier ces données pour défendre leurs intérêts. Ça va changer la donne.»
Jusqu’aux Pays-Bas pour obtenir les informations
Dans le cas d’Uber à Genève, «qui a toujours refusé de transmettre les données brutes», une cinquantaine de chauffeurs ont pu mettre la main dessus en s’adressant directement au siège de l’entreprise, aux Pays-Bas, soumis à la loi européenne sur la protection des données (RGPD), qui oblige les entreprises à transmettre les informations des employés, «sous peine d’une amende à hauteur de 4% du chiffre d’affaire», précise Paul-Olivier Dehaye.
Les rapports de force s’inversent
«Les données récoltées par Uber vont finalement devenir leur talon d’Achille, car elles permettront de prouver les prétentions de leurs employés avec une précision inégalée», relève le défenseur. Preuve en est la récente découverte de Paul-Olivier Dehaye. «Il y a une concordance trop parfaite entre les kilométrages des chauffeurs fournis par Uber et ceux d’un calculateur de trajet. Or, ces chiffres ne représentent pas la complexité d’un parcours réalisé dans le trafic genevois. On peut donc soupçonner qu’Uber a transmis les kilomètres estimés et non les kilomètres réellement parcourus par les chauffeurs.» D’autres constats montrent que les données d’Uber ne correspondent pas à la réalité. «Dans le cas d’un chauffeur, certaines informations sont catastrophiques. Il y a des mois où l’entreprise indique qu’il a fait 3km, mais selon nos données, il en a réalisé des centaines.»
Résultat: «Il peut y avoir un différentiel de plusieurs dizaines de milliers de francs, voire de centaines de milliers entre les propositions d’Uber et nos calculs pour des chauffeurs réguliers», confie Me Francesco. Aussi, ce dernier et Me Fabrice Coluccia vont porter le dossier d’une quinzaine de chauffeurs devant les Prud’hommes d’ici quelques jours. De nouveaux clients ont aussi frappé à leur porte pour être défendus.
Uber réagit
De son côté, Uber indique que «les montants liés à l’indemnité kilométrique ont toujours fait l’objet de cette même méthodologie et sont les mêmes que ceux présentés durant les discussions ayant abouti à la décision de l’Etat» d’accepter leur proposition de mise en conformité, en novembre dernier.