Langage: «L’utilisation du terme «honte de prendre l’avion» peut faire changer les choses»

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Langage«L’utilisation du terme «honte de prendre l’avion» peut faire changer les choses»

Hugo Caviola étudie notre langage quotidien par le biais du projet Sprachkompass.ch. Des mots comme «honte de voler», «empreinte écologique» ou «souffrance animale» peuvent-ils conduire à des actions plus durables? Le spécialiste en est convaincu.

Sebastian Sele
par
Sebastian Sele
Hugo Caviola étudie notre langage quotidien avec le projet sprachkompass.ch. Il est convaincu que la manière de s’exprimer peut changer les choses.

Hugo Caviola étudie notre langage quotidien avec le projet sprachkompass.ch. Il est convaincu que la manière de s’exprimer peut changer les choses.

zVg

Hugo Caviola (67 ans) travaille comme linguiste à l’Université de Berne et dirige le projet Sprachkompass.ch, qui étudie les répercussions du langage quotidien sur notre rapport à l’environnement. Son objectif? Promouvoir un usage conscient du langage.

Hugo Caviola, le langage peut-il modifier nos actions?

On constate que les entreprises et les organisations dépensent des milliards de francs en publicité. C’est probablement la preuve la plus directe que le langage possède un tel impact. Différentes études le prouvent également. Une expérience menée par l’Université de Stanford a montré que les gens ont une autre approche des explosions de violence quand cette dernière est métaphoriquement qualifiée de «bête» ou de «virus» dans un texte. On peut citer un autre exemple en Allemagne: le mariage entre personnes de même sexe n’a été accepté que lorsqu’il ne s’est plus nommé «mariage homosexuel», mais «mariage pour tous».

La langue peut donc mener à un mode de vie plus durable.

Oui, le langage peut ouvrir de nouvelles perspectives. Lorsque les termes «bien-être animal» et «souffrance animale» se sont imposés, nous avons ensuite pu réfléchir différemment aux bêtes. Désormais, les animaux dits de rente ne sont plus aussi facilement considérés comme des produits industriels, tels que des montres ou des chaussures, car on les perçoit également comme des êtres vivants capables de souffrir. Il en va de même pour l’«empreinte écologique» ou la «honte de prendre l’avion» – ces termes ont ouvert de nouvelles voies de réflexion. Si l’on parle de sa honte de prendre l’avion ou de son empreinte écologique à quelqu’un qui nous raconte un voyage lointain, la conversation peut rapidement prendre une autre tournure.

Vous évoquez les voyages lointains. Vous avez étudié de plus près la publicité faite autour d’eux dans le cadre du projet Sprachkompass.ch. Qu’avez-vous constaté?

Les voyages lointains sont surtout promus à l’aide de mots d’appel comme «paradis», «conte de fées» ou «rêve». De plus, on montre de belles images des Seychelles, de Bali ou des Maldives, qui ne correspondent peut-être pas du tout à la réalité. On crée ainsi le sentiment que le voyage permet d’échapper à la réalité. En revanche, les émissions massives de CO2 produites par les vols sont occultées. Je me pose dès lors la question suivante: ne serait-il pas plus judicieux de choisir une destination plus proche pour se reposer ou bien même d’avoir une vie au quotidien plus agréable, de telle sorte qu’un voyage nuisible au climat devienne superflu?

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À l’aune des conclusions de sprachkompass.ch, Hugo Caviola se demande s’il «ne serait pas plus judicieux de choisir une destination plus proche pour se reposer ou bien d’avoir une vie au quotidien plus agréable, de telle sorte qu’un voyage nuisible au climat devienne superflu».

À l’aune des conclusions de sprachkompass.ch, Hugo Caviola se demande s’il «ne serait pas plus judicieux de choisir une destination plus proche pour se reposer ou bien d’avoir une vie au quotidien plus agréable, de telle sorte qu’un voyage nuisible au climat devienne superflu».

sprachkompass.ch
Hugo Caviola a également étudié les publicités qui font la promotion des périples lointains. Celles-ci donnent le sentiment que le voyage permet de s’évader de la réalité. En revanche, les émissions massives de CO2 produites par les vols sont occultées.

Hugo Caviola a également étudié les publicités qui font la promotion des périples lointains. Celles-ci donnent le sentiment que le voyage permet de s’évader de la réalité. En revanche, les émissions massives de CO2 produites par les vols sont occultées.

Pixabay

Restons-en au quotidien. Planted, un fabricant suisse de substituts de viande, ira devant le Tribunal fédéral parce que l’un de ses produits est qualifié par le mot «chicken»…

Cela montre une fois de plus le pouvoir que peut avoir le langage. Les substituts de viande se trouvent probablement dans une phase de transition. Des termes comme «chicken» servent aux consommateurs à se faire une idée du nouveau produit – mais les milieux impliqués veulent éviter que la valeur marchande de ce qu’ils commercialisent ne soit transférée aux produits de substitution. En outre, une hiérarchie règne toujours dans l’assiette: la viande est la star, tout le reste est juste considéré comme un «accompagnement».

Planted, fabricant de substituts de viande, se retrouve au cœur d’une bataille juridique, car l’entreprise suisse promeut ses produits en utilisant le mot «chicken».

Planted, fabricant de substituts de viande, se retrouve au cœur d’une bataille juridique, car l’entreprise suisse promeut ses produits en utilisant le mot «chicken».

planted.ch

Dernière question: comment votre travail a-t-il influencé vos propres actions?

L’utilisation consciente du langage et de l’environnement me tient bien sûr à cœur. Ainsi, je ne mange pratiquement plus de viande, la dernière fois que j’ai pris l’avion remonte à quatre ans et je perçois comme un enrichissement le fait de me passer de voiture.

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