Danse Magie russe en demi-teinte au Grand Théâtre
L'auguste scène genevoise donne actuellement un spectacle en hommage aux Ballets russes. Les chorégraphies de Benjamin Millepied sont plaisantes.
- par
- Emmanuel Coissy
L'opéra affichait complet, mardi soir, pour la première. Le public s'y pressait parce que l'enjeu était de taille. Le ballet du Grand Théâtre faisait sa rentrée en donnant trois créations inspirées d'un programme populaire mais aussi parce que le mari de l'actrice Natalie Portman dirigeait les danseurs (lire encadré ci-dessous). Programme populaire? Oui, les Ballets russes, mythique compagnie à l'origine de nombreuses oeuvres au début du XXe siècle (la plus célèbre étant «Le sacre du printemps»), habite encore l'imaginaire des amateurs de danse au début du XXIe. Les passionnés rêvent toujours des danseurs et chorégraphes de l'illustre compagnie (Nijinski, Fokine, Massine, Balanchine), des artistes associés qu'ils soient compositeurs ou peintres (Stravinski, Ravel, Debussy, Picasso, Matisse).
A l'affiche de la soirée genevoise, trois pièces: «Petrouchka», «Le spectre de la rose» et «Les sylphides» à l'origine créées par les Ballets russes mais aujourd'hui revues par des chorégraphes contemporains.
Le spectacle a débuté avec «Petrouchka», sur une musique de Stravinski, chorégraphie de Laurence Yadi et Nicolas Cantillon. Le sujet est fantastique: au cours d'une fête, un mage donne vie à trois poupées, Petrouchka, une ballerine et un Maure. Ce sera un prétexte pour des jeux amoureux et des querelles entre les personnages jusqu'à l'issue fatale. Décor et costumes sont noirs, tout oscille entre «Blade Runner» et «Batman» surtout du côté des maquillages. Au-dessus du plateau plane une structure métallique tentaculaire mobile - un manège, une araignée - rehaussée d'ampoules électriques qui scintillent dans la nuit.
Au 12e rang, le plasticien John Armleder, dont le néon est un peu la marque de fabrique, plisse les yeux et ne semble guère conquis. Il n'est pas le seul dans la salle. Au niveau de la danse, on note des ensembles qui rappellent ceux de Maurice Béjart, mais aussi quelques beaux mouvements de bras attribués aux solistes. Mais rien de très excitant. «Toute la magie de la Russie», a déclaré avec acidité un éminent psychiatre genevois pendant l'entracte. Il n'a pas tort.
L'âme slave selon Millepied
«Le spectre de la rose» est une fantaisie pour trois danseurs et une soliste. La musique, sublime, a été composée par Carl Maria von Weber; elle est connue du grand public car elle a été employée naguère dans une pub pour un dentifrice. D'aucuns sifflotaient le thème pendant la représentation. Le décor, composé de blocs bariolés, rappelle les toiles de Malevitch, peintre russe leader du suprématisme. Le travail de Benjamin Millepied est enlevé et plaisant.
«Quelle légèreté!», s'est exclamée une femme très chic qui sans doute ne se rendait pas compte que les musiciens de l'Orchestre de la Suisse romande n'avaient pas besoin de son soutien vocal. C'est à cet instant que l'hilarité s'est emparée de tout le parterre à la vue du pantalon d'un des danseurs dont la couture arrière avait craqué. Puis ce fut un deuxième. Les rires sont repartis de plus belle. L'accident n'était, bien sûr, pas voulu par Millepied, mais étrangement il n'a rien saboté de cet interlude ravissant.
Si «Le spectre de la rose» était une pâtisserie, «Les sylphides» sont un plat de résistance et aussi la pièce la plus applaudie. La musique est une orchestration de nocturnes et autres opus de Chopin. Le décor est hachuré en noir et blanc. Les danseuses portent des robes à corolle, chacune d'une couleur, qui ensemble forment un nuancier de la gamme Pantone. Les messieurs sont en costard noir et chemise blanche.
Plusieurs tableaux se succèdent, certains charmants, d'esprit folklorique, d'autres burlesques, en particulier grâce à certaines poses et à des effets de respiration comiques. Les allusions aux Ballets russes sont bien amenées. On regrette juste le manque de synchronisation des interprètes qui font souvent cavaliers seuls. Si le travail de Benjamin Millepied n'est pas révolutionnaire (inspiration évidente de George Balanchine), il a le mérite d'être divertissant et agréable à regarder. Après tout la danse, n'est-ce pas de beaux gestes sur de la belle musique?

Natalie Portman à Genève
Ces trois dernières semaines, la cité de Calvin bruissait de cancans sur la présence de la star qui accompagnait son chorégraphe de mari. On a entendu dire que le couple séjournait avec leur enfant à l'hôtel Kempinski, que la belle avait été aperçue à la synagogue, qu'elle avait assisté à de nombreuses répétitions et qu'elle avait même allaité son bébé dans le studio de danse. Malheureusement, Natalie Portman ne s'est pas montrée à la première du Grand Théâtre. Pour ne pas faire de l'ombre au travail de son mari? Envie d'avoir la paix? Ceux qui s'étaient déplacés pour récolter un peu de clinquant hollywoodien en auront été pour leurs frais.
Soirée Ballets russes
Trois créations mondiales avec le Ballet du Grand Théâtre
Petrouchka
Musique de Igor Stravinski
Chorégraphie : Laurence Yadi & Nicolas Cantillon
Le Spectre de la rose
Musique de Carl Maria Von Weber
Les Sylphides
Musique de Frédéric Chopin
Chorégraphies : Benjamin Millepied
Avec l'Orchestre de la Suisse Romande
Durée : approx. 1h40 (entracte compris)
au Grand Théâtre de Genève, place Neuve.
13.10.2011 à 20h00
14.10.2011 à 20h00
15.10.2011 à 20h00
16.10.2011 à 15h00
Prix: de 26 à 139 fr.
Info: www.geneveopera.com