Voile: «Mon souci serait que la glace dérive et me piège»

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Voile«Mon souci serait que la glace dérive et me piège»

Yvan Bourgnon a attaqué jeudi le passage du Nord-Ouest avec son petit catamaran sans habitacle, pour relier l'Alaska au Groenland à travers les glaces.

par
Oliver Dufour

Avec «Ma Louloutte», comme il surnomme affectueusement son petit multicoque de 6m30 de long pour 4m de large, le marin chaux-de-fonnier était déjà parvenu à faire le tour du monde «à l'ancienne», sans disposer d'une cabine pour s'abriter et naviguant au sextant. Jeudi (8h en Suisse), il s'est attaqué à une aventure plus périlleuse encore avec des outils identiques. En deux mois, il tentera de relier Nome, en Alaska, à Ingsugtusok, au Groenland, en franchissant les eaux gelées du Grand-Nord américain.

«C'est une suite logique de mon tour du monde, souligne le Neuchâtelois. Elle découle de mon amour de cette région. Je suis davantage un explorateur qu'un skipper!» Relier les océans Pacifique et Atlantique n'aurait pas été possible de cette manière voilà encore quelques années. Bourgnon espère par son périple sensibiliser le public au réchauffement climatique. «Avant on passait en force en brisant la glace, demain on y passera en petit voilier. On se rend compte de la dévastation. Le réchauffement est une certitude. Il y a aussi plein de déchets dans ces mers, alors qu'elles se trouvent dans des régions peu peuplées. Preuve d'une pollution à large échelle. Là encore, ça s'inscrit dans le sillage de mon projet Sea Cleaners», ajoute-t-il en évoquant le programme de nettoyage des eaux du globe dont il est la figure de proue.

Un pistolet pour ne pas être croqué par un ours

Pour atteindre son objectif, l'aventurier devra faire face à un environnement des plus hostiles. Températures de l'eau et de l'air glaciales, faune à protéger ou contre laquelle se protéger: «J'ai pris un pistolet dont j'espère ne pas devoir me servir contre une attaque d'ours polaire», raconte-t-il. «Les ours sont actuellement à la recherche de nourriture et n'hésiteraient sans doute pas à monter à bord pour me croquer si l'occasion se présentait. Et à côté de ça je devrai aussi faire gaffe à ne pas heurter un cachalot, un narval ou tout autre animal qu'on trouve en grande diversité par là. En profiter c'est aussi le but de mon expédition.»

Et puis il y a aussi les icebergs redoutés. «Mon grand souci serait que le passage ne s'ouvre pas ou que la dérive de la glace me prenne au piège, m'obligeant à sortir le bateau de l'eau pour rejoindre un village à pied!» Yvan Bourgnon s'est d'ailleurs équipé de chaussures à crampons et d'un sac à dos pour parer à toute éventualité, à l'image d'un alpiniste auquel il se compare volontiers. «On dit souvent que le meilleur alpiniste est celui qui sait être raisonnable et renoncer pour redescendre lorsque la situation l'exige. La sagesse doit l'emporter. Je n'ai jamais eu à déclencher les secours au cours de mes diverses aventures. Je ne dis pas que ça n'arrivera jamais, mais je ferai tout pour que ça ne soit pas nécessaire.»

«Je n'aurai aucun endroit pour m'abriter»

Le Neuchâtelois sait par ailleurs qu'il se met en danger. «Il fera des températures entre 3 et -10°C. Ce n'est pas extrême, mais le froid ressenti peut-être beaucoup plus fort, en raison de l'humidité permanente et de la vitesse. En plus j'aurai des vagues d'eau froide qui m'arroseront sans arrêt. Un explorateur peut généralement trouver un abri lorsqu'il est en difficulté. Moi je n'aurai nulle part.» Et pas question de chavirer dans des eaux à 2°C, sous peine de ne pas y résister bien longtemps. «Autant dire que ma marge d'erreur est nulle, cette fois. A côté, mon tour du monde était quelque chose de facile. La difficulté résidait surtout dans la durée du voyage. Mais je me sens vraiment bien préparé et de plus en plus à l'aise à la barre de mon bateau, qui a par endroits été renforcé pour résister un peu mieux aux petits chocs. Comme il sera alourdi, je devrai naviguer en fonction pour éviter la casse.»

Son sommeil, Bourgnon devra le fractionner en micro-siestes de 5 à 15 minutes maximum, dans un sac de couchage double – «je peux même m'y glisser dans ma combinaison» – simplement recouvert d'une bâche rétractible. «Dormir plus longtemps passera peut-être une ou deux fois, mais la troisième ça sera le choc contre la banquise!» Le marin embarquera également 30 litres d'eau potable, en comptant sur un désalinisateur manuel, l'eau de pluie ou la glace de la banquise située en hauteur – «même s'il ne sera pas facile d'accoster» – pour remplir ses réservoirs. Une ligne de pêche lui permettra aussi de se ravitailler. «Si je n'attrape rien, je finirai très affûté!», se marre-t-il. Ne reste plus qu'à espérer que le passage à travers les glaces s'ouvrira comme prévu, lui qui met plus de temps que prévu pour se dégager. Faute de quoi le voyage pourrait se prolonger un peu trop, ce qui pourrait faire courir le risque au navigateur d'être confronté à de mauvaises conditions météo. Froid, nuit, humidité, tempêtes et fatigue constitueraient alors de redoutables ennemis.

La carte du défi d'Yvan Bourgnon

Le marin neuchâtelois s’attaquera dès mercredi au passage du Nord-Ouest avec son petit catamaran sans habitacle, pour relier l’Alaska au Groenland à travers les glaces.

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