
La syrah s’épanouit à Tain-l’Hermitage (appellation Hermitage) face à Tournon-sur-Rhône (appellation Saint-Joseph).
œnotourisme en FranceDescente du Rhône en buvant du blanc et du rouge
Voyageons, un verre à la main, en suivant le cours du fleuve. Zoom sur deux appellations: Saint-Joseph, au nord, et Lirac, au sud. Premier volet d’une série consacrée à la viticulture.
Le Rhône est une eau qui se change en vin. À sa naissance, il traverse les trois principaux cantons viticoles de Suisse (en superficie), puis, après avoir passé la frontière, il irrigue une vaste région viticole, en taille la 3e de France, avec 75’000 hectares de vignes plantées dont la moitié produira du côtes-du-Rhône. Ici, les rouges sont dominants (75%), mais on fait aussi des rosés (14%) et d’excellents blancs (10%), malheureusement méconnus. Ce sont eux qu’on vendange actuellement. Certains cépages (variétés de raisin) comme le muscat ont même déjà été récoltés en août. Ces jours-ci, dans la partie nord de la vallée à 40 kilomètres au sud de Lyon, c’est au tour du viognier qui génère l’éblouissant Condrieu. 10 kilomètres plus au sud, les grappes vertes teintées de rouge de la marsanne et de la roussanne deviendront du saint-joseph blanc.

La Syrah est une variété emblématique de la vallée du Rhône, en particulier dans la zone septentrionale.
La canicule crée des vins atypiques
La température est supportable le matin, entre 15°C et 23°C, pour cet exercice impitoyable. «Nous vendangeons de 7 heures à 13 heures», détaille Philippe Verzier, vigneron indépendant qui travaille en biodynamie à Chavanay, sur la rive droite du Rhône dans le département de la Loire. Celui-ci avait été placé en vigilance rouge canicule, cet été. «On doit s’adapter en permanence. Le printemps a été frais et humide, l’été caniculaire. 2023 sera un millésime atypique, comme 2022», pronostique le viticulteur français. Sur les 10 hectares de sa propriété 9 sont classés Saint-Joseph, majoritairement du rouge.
Au niveau global de l’appellation Saint-Joseph, le blanc ne représente que 15%, en légère augmentation, puisqu’il ne pesait que 12%, il y a 6 ans. Le rouge est davantage connu grâce à sa dominance sur les 60 kilomètres délimitant l’appellation d’origine protégée (Loire et Ardèche). La syrah donne un vin aux notes poivrées d’une rare élégance. C’est donc surtout pour le rouge que les œnotouristes visitent les caves: «En été, on reçoit beaucoup de monde. Même des Suisses, on en voit au moins une fois par semaine», assure Philippe Verzier dont la cuvée Madone est un enchantement. Les fans de syrah ne manquent pas non plus les étapes Côte-Rôtie et Hermitage sur l’autre rive.
Lirac gagne à être connue
Au bout de la partie méridionale, au sud d’Avignon, se trouve Châteauneuf-du-Pape qui a donné son nom au vin le plus réputé de la vallée du Rhône. Il ne faut pas hésiter à faire escale sur la rive juste en face où s’épanouissent les vins de Lirac. Cette appellation méconnue partage des caractéristiques communes avec sa voisine. Elle a ses fans, ravis que son manque de notoriété évite l’explosion des prix. Grégory Sergent est un vigneron établi à Tavel, dans le Gard. Ce vigneron bio - il laboure son domaine avec un cheval - ne s’embarrasse pas avec des guerres de clochers puisqu’il produit du lirac (rouge et blanc) et du châteauneuf-du-pape (rouge). Comme son confrère Philippe Verzier, cité plus haut, il travaille en biodynamie. Et le résultat s’en ressent dans le verre. Son domaine, le Clos du Jas, est jeune: 2019 a été son premier millésime. Le gaillard est tombé dedans quand il était petit et a repris une exploitation: «J’ai choisi d’aller de mon côté, avec ma philosophie. Pour Lirac, comme on est sur la rive droite, le raisin bénéficie d’un peu plus de fraîcheur. Par ailleurs, le regain d’intérêt pour le blanc avantage aussi ce côté du fleuve parce qu’il y a plus de cépages», estime Grégory Sergent.

Parmi les cépages de Lirac, on trouve le grenache blanc.
Grand potentiel de garde
La cuvée L’Aspre (millésime 2021), un blanc (90% grenache blanc, 10% grenache gris) du Clos du Jas est issu de vendanges tardives. Pour libérer tout son potentiel et admirer sa robe orangée, il convient de le carafer 2 heures avant de le déguster. Son équilibre, entre onctuosité et fraîcheur (notes fruitées et florales), est divin avec du fromage, de préférence un bleu. Détail étonnant, le viticulteur estime son potentiel de garde entre 5 et… 25 ans! «Les blancs de la vallée du Rhône sont surprenants et intéressants pour la gastronomie, estime Fabien Mene, Meilleur sommelier suisse 2021, originaire de la région. On peut les boire jeunes, mais ils méritent une reconnaissance notamment pour leur capacité de vieillissement. Les clients demandent rarement ces vins. C’est à nous, sommeliers, de les faire découvrir.»
Les trois prochains volets de notre série seront consacrés à la viticulture dans les Andes, en Argentine (22 septembre), aux cépages indigènes en Turquie (vendredi 29 septembre) et au vignoble biennois (vendredi 6 octobre).