Genève: Dépayser l’enquête de police sur la police, c’était possible

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Policier accusé de violOn aurait pu confier l’enquête genevoise à la police d’un autre canton

En 2018, une prostituée affirmait avoir été violée par un agent. La gestion de l’enquête du Ministère public est critiquée par un expert. Ce dernier juge que nommer l’IGS, mise en cause, est discutable.

Une travailleuse du sexe affirme avoir été violée dans une voiture par un gendarme en congé, en 2018.

Une travailleuse du sexe affirme avoir été violée dans une voiture par un gendarme en congé, en 2018.

Getty Images/iStockphoto

«Les murs transpirent, au-delà des personnes.» La formule est de Frédéric Maillard. Pour cet économiste de gestion fort de multiples collaborations avec les polices suisses, l’option choisie par le Ministère public pour enquêter sur le dossier du viol présumé d’une prostituée par un policier en congé en 2018 n’est «pas satisfaisante». Pour rappel, un commissaire et un membre de l’IGS (la police des polices) sont soupçonnés d’avoir étouffé l’affaire.

Le procureur général a nommé trois membres de l’IGS qui ne faisaient pas partie de ce corps à l’époque des faits pour tenter de faire la lumière sur cet épisode. «Ça part d’une bonne intention, mais ne résout rien sur le plan organique: la personne morale de l’institution supplante la personne physique du policier.» Là, «ça reste une IGS compromise» appelée à enquêter sur elle-même. «Il existe des biais implicites qui ne garantissent pas l’indépendance de l’enquête», juge l’expert.

L’exemple de Neuchâtel et de Fribourg

Une solution aurait été de la confier à une police d’un autre canton. «Dans la pratique, l’usage est relativement courant, notamment entre les polices neuchâteloise et fribourgeoise», observe Frédéric Maillard. Les forces de l’ordre fribourgeoises le confirment, tout en précisant que la décision de dépaysement appartient au procureur qui instruit l’affaire, et juste à lui.

«C’est une piste qui nous semble intéressante et qui mériterait d’être explorée», estime Pénélope Giacardy, directrice d’Aspasie, l’association de défense des travailleuses et des travailleurs du sexe. Cette possibilité avérée fait aussi dire à Thomas Wenger, député PS membre de la commission de contrôle de gestion, «qu’il serait nécessaire que l’enquête soit confiée à la police d’un autre canton, vu qu’il y a manifestement conflit d’intérêts. Ce serait plus sain et transparent. Mais c’est le Parquet genevois qui doit diriger les investigations.»

Le Ministère public, sollicité pour savoir pourquoi il n’avait pas opté pour un dépaysement de l’enquête policière, n’a pas souhaité faire de commentaires.

Plaidoyer pour une entité de contrôle non policière

Frédéric Maillard considère que confier les investigations à des policiers d’un autre canton «résoudrait le problème organique géo-territorial», mais pas le problème «systémique» – c’est-à-dire lié au corporatisme inhérent au fait que des policiers enquêtent sur des policiers. Lui préconise la création d’un organe «totalement indépendant. On me rétorque souvent que le pouvoir judiciaire l’est, mais en réalité, il dépend des résultats de l’enquête policière.» Pour l’expert, les politiciens devraient avoir le courage de mettre sur pied une entité de contrôle fédérale, «composée de non-policiers avec des pouvoirs de police, comme en Irlande du Nord».

Les députés veulent entendre Pierre Maudet

Les députés genevois empoignent l’affaire. Ce lundi, la commission de contrôle de gestion a formellement décidé d’entrer dans la danse. Ses membres ont choisi, dans un premier temps, d’auditionner Pierre Maudet. Le conseiller d’État chapeautait la police à l’époque. Les élus veulent lui demander ce qu’il savait en 2018, même s’il leur a déjà répondu par écrit qu’il ne savait rien. Dans un second temps, ils songent à entendre la commandante de la police, Monica Bonfanti, afin qu’elle explique comment l’IGS peut enquêter sur l’IGS.

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