Qatar 2022Qui va vouloir le ballon en finale entre la France et l’Argentine?
Pablo Iglesias, directeur du football à Sion, porte un regard sur les finalistes, dont Mbappé et Messi, et sur la tendance de ce Mondial. Analyse.
- par
- Daniel Visentini

Mbappé et Messi: deux solistes, mais dans des systèmes de jeu qui spéculent beaucoup sur l’erreur de l’adversaire, qu’ils doivent exploiter en rupture et en rapidité.
Mais qui aura la possession du ballon entre la France et l’Argentine en finale de la Coupe du monde, dimanche (16 h)? Question abrupte qui charrie avec elle tous les questionnements qui affleurent déjà, à l’aube du match décisif. Pendant longtemps, le football était simple, quand on voulait être simpliste: la meilleure équipe sur le terrain monopolisait la balle, dominait, provoquait l’erreur de l’adversaire et s’imposait. C’était le plan, parfois fracassé par quelques accidents de parcours - la magie du sport -, mais enfin, le but du foot était là: s’emparer du ballon, le chérir et l’utiliser pour gagner. À l’extrême, c’est le Barcelone de Pep Guardiola. Mais des réponses ont été apportées pour contrer (c’est le mot), cette philosophie.
L’histoire de ce Mondial au Qatar raconte cette tendance qui se confirme. La France a été sacrée championne du monde comme cela en 2018: tout en contrôle, sacrifiant une certaine idée de jeu sur l’autel d’un réalisme plus froid, plus clinique, presque cynique. En ce mois de décembre, avant la finale, rebelote: Didier Deschamps est toujours aussi calculateur, quitte à laisser la possession de la balle au Maroc en demi-finale, et l’Argentine est cette équipe qui pense pareil, avec Messi pour débloquer les situations. Deux équipes qui n’apprécient pas forcément d’avoir le ballon.
Le collectif avant tout
«Mais est-ce que dans cette Coupe du monde, à part l’Espagne parce que c’est dans ses gènes, une équipe voulait vraiment le ballon?» Pablo Iglesias s’interroge tout haut, avec justesse. Le directeur du football du FC Sion a bien regardé le Mondial. «Ce calcul, de ne pas vouloir le ballon, c’est la réponse au jeu de possession, explique-t-il. Cela ne date pas de ce Mondial, mais j’ai l’impression que cette tendance s’est accentuée. Quelque part, il y a un retour de la valeur du groupe, en réponse aux individualités qui s’effacent de plus en plus et c’est sans doute intéressant pour un sport collectif. Ce Mondial le montre: l’effort collectif est essentiel et, à petit feu, il éteint les virtuoses, dont on est nostalgique.»
Et Leo Messi? Voilà un virtuose qui ne s’éteint pourtant pas. «Oui, certains virtuoses existent encore, admet Iglesias. Mais ils sont de moins en moins nombreux et ils sont trentenaires. On peut évoquer Mbappé, bien sûr. Mais on dit plus facilement l’Argentine de Messi que la France de Mbappé. Parce que, finalement, le joueur qui incarne le plus cette France-là, c’est Griezmann. Un attaquant de formation qui est capable de couvrir ses défenseurs centraux ou de compenser sur les côtés. Et puis, même si Messi est le soliste de l’Argentine, c’est collectivement que tout est construit pour lui donner une ou deux secondes afin qu’il puisse déclencher quelque chose. Paradoxalement, le reste de l’équipe s’arrête presque de bouger une fois que cela est fait.»
Spéculer sur l’erreur
Les raisons de cette tendance à sacrifier une part du jeu, à laisser intentionnellement le ballon à l’adversaire pour mieux le surprendre? «Quelque chose de global s’est mis en place dans le football, avec les moyens actuels de communication, lance Pablo Iglesias. Que l’on soit en Norvège, en Asie ou en Amérique du Sud, on applique grosso modo les mêmes méthodes. Je me souviens du Mondial 1982: à la fin, on pouvait facilement ressortir plusieurs joueurs, dans différentes sélections, qui s’étaient mis en valeur et dont on pouvait citer les noms. De ce Mondial 2022 on se souviendra de quoi, de qui? Deux ou trois noms, oui. J’ai peur que ce formatage, qui contribue à cela, continue. On pourrait le résumer comme cela: pourquoi tenter de provoquer l’erreur de l’adversaire en prenant le risque d’avoir le ballon et de multiplier les passes pour trouver l’ouverture, alors que l’on peut spéculer sur l’erreur adverse en lui laissant la balle, justement?»
Retour après cette analyse sur la question initiale. Dans ces conditions, qui aura la possession du ballon en finale entre la France et l’Argentine?
«J’ai un peu l’impression que ce sera l’Argentine, dit Pablo Iglesias. Précisément par cette volonté, dans le cadre de l’organisation minutieuse de son sélectionneur Scaloni, des Argentins de trouver ces une ou deux secondes ou cet espace pour Messi. Est-ce que cela sera plaisant? Je ne sais pas. Il y a tout de même un joli gratin de beaux joueurs et il faut espérer qu’ils se montreront. Mais je doute que l’on voie des vagues d’attaques et de défense en continu. Par intermittence, oui.»