Amours et confinement«Socialement, cette situation est atroce»
Désarçonnés face à la quarantaine imposée, les célibataires en mal de rencontres vivent très mal la solitude. Certains parlent même d'un début de dépression.
- par
- Sophie Zuber

Aller boire son café le matin au tea-room, croiser des collègues au bureau, prendre un verre après une journée harassante. Pour beaucoup, ces petits détails semblent manquer cruellement à leur quotidien alors que la Suisse vit la fin de sa deuxième semaine de semi-confinement.
Parmi ceux dont les contacts sociaux font partie de leur équilibre, les célibataires désirant en finir avec la solitude vivent la situation encore plus mal, surtout en cette période printanière. «Pour une personne qui était prête à faire de nouvelles rencontres, cette condition est perçue comme une catastrophe. L'angoisse d'être seule est ainsi décuplée», explique Laurence Dispaux, psychothérapeute de couple et sexologue à Morges (VD).
Le printemps pour «se remettre sur le marché»
C'est le cas d'Elsa*. À 31 ans, cette Genevoise se disait enfin prête à s'ouvrir aux autres avant que le Covid-19 ne vienne chambouler tous ses plans: «Je me suis séparée à la fin de l'été dernier. Je voulais me laisser le temps de guérir de mes blessures durant les longs mois d'hiver.» Alors qu'elle se réjouissait de l'arrivée des beaux jours pour se «remettre sérieusement sur le marché», celle-ci a dû revoir ses ambitions. «J'étais prête à sortir, à me faire désirer et je me sens à nouveau très seule. Même si j'applique évidemment les recommandations à la lettre, socialement, cette situation est atroce.»
«Sur les applis, les dialogues profonds ne sont pas favorisés»
Inscrite sur des applications de rencontres en attendant de pouvoir à nouveau sortir, la jeune cadre ne croit pas que cela suffira à lui rendre le sourire: «J'aurais voulu prendre mon temps pour connaître quelqu'un en vrai. Sur ces applis, on a l'impression que la plupart des gens veulent juste passer le temps et ne favorisent pas les dialogues profonds.»
Restrictions pas respectées
Cynthia*, une Lausannoise de 40 ans, qui recherche l'âme soeur «sans plus tellement y croire» est active sur les sites de rencontre depuis quelques mois pour tromper la solitude. «J'avais des rendez-vous assez souvent. Mais depuis quelques jours, je n'arrive pas à me faire à cet isolement. Même si cela est évidemment nécessaire.» Et c'est avec étonnement et effroi que la Vaudoise a noté que la plupart de ses prétendants en ligne semblent ne pas prendre en compte les restrictions des autorités: «Encore ce matin, je recevais une proposition indécente que je n'ai évidemment pas acceptée. Cet homme me demandait de venir chez lui. Comme s'il occultait la situation. Je suis choquée.»
«Certains répondent à leurs angoisses par un comportement dangereux sur le plan sociétal»
Laurence Dispaux rappelle qu'il est de la responsabilité de chacun de ne pas contribuer à la propagation du virus: «Ceci est contraire à tout bon sens même si, sur le plan individuel, on peut imaginer le sens. Ces personnes, prêtes à braver les interdits, répondent à leur angoisse et à leur sentiment d'isolement insupportable par un comportement dangereux sur le plan sociétal. Bien que cette situation ne soit pas facile, personne ne veut qu'elle dure des mois et des mois, et chacun doit jouer le jeu», continue-t-elle, en encourageant les personnes à prendre contact en ligne avec des professionnels afin de partager leurs angoisses.
En colocation avec un inconnu: pari risqué
L'anxiété ne semble pas avoir pris le dessus chez Clara*, qui a pris le taureau par les cornes. Flairant le confinement il y a une dizaine de jours, cette Lausannoise de 30 ans a accéléré la phase de séduction avec un homme qu'elle n'avait vu qu'une fois jusque-là. «Je savais que cette histoire de Covid-19 allait prendre de l'ampleur et j'ai réalisé que j'allais être seule durant des semaines.» Ainsi, elle s'est dépêchée d'accueillir son prétendant dans son 2 pièces et demie dès l'annonce du Conseil fédéral. «C'était gonflé. Mais je n'aime pas la solitude, et je savais que je n'allais pas revoir mes proches pendant un moment.»
«Cette situation inédite nous force à apprendre de nouveaux codes»
En vivant avec une personne qu'elle ne connaissait pas il y a peu, Clara fait chaque jour une nouvelle découverte sur son colocataire. «C'est très réjouissant: il fait bien la cuisine et, par chance, je n'ai vraiment pas à me plaindre de ses performances sur l'oreiller. J'ai tiré le bon ticket de loterie», termine-t-elle avec malice, en espérant que la fin du confinement ne fera que cimenter leur histoire naissante.
«Cette personne a eu certes de la chance, mais il s'agit là d'un pari très audacieux», observe la sexologue, avant de terminer sur une note positive. «Bien que les contacts physiques sont essentiels pour vivre en harmonie dans le temps, cette situation inédite nous force à apprendre de nouveaux codes. Cela vaut la peine d'essayer tous les moyens de communication. Et cette attente forcée ne fera que contribuer à ce que les rencontres soient délicieuses.»
*Noms connus de la rédaction