IndeSur la route, le cycliste vaut moins qu'une vache
Un ordre hiérarchique est strictement appliqué sur les routes indiennes: les camions, les voitures et puis les cyclistes, mieux considérés que les piétons, mais moins bien que l'animal sacré.
Sur les grands axes routiers comme dans les moindres ruelles, la taille du véhicule et parfois le bruit qu'il émet définissent la place de celui qui le conduit. Les camions et les bus, conduits au mieux avec arrogance, au pire avec hostilité, sont au sommet de la pyramide. Suivis par les voitures. Puis les rickshaws, les triporteurs indiens. Puis les vaches. Et enfin les cyclistes. Les piétons n'entrent même pas dans cette hiérarchie tacite.
Et pourtant, malgré la croissance économique de ces dernières années, le vélo reste le transport de choix pour les Indiens pauvres ou ceux de la classe moyenne émergente: 45% des foyers possèdent un deux-roues à pédales. En août, Calcutta a interdit aux cyclistes l'accès à 174 rues de cette grande ville de l'est de l'Inde, suscitant incompréhension et manifestations. L'Inde cherche à éloigner les cyclistes des villes alors même que nombre de cités dans le monde veulent accroître leur place, observe Anumita Roychowdhury, du Centre pour la science et l'environnement, une ONG de défense de l'environnement.
A travers tout le pays, le cycliste doit lutter pour occuper un petit bout d'espace. Si elle ignore totalement les batailles que doit livrer le petit employé ou ouvrier pour se rendre à son travail en pédalant, c'est que la classe dirigeante roule en voiture, observe Charles Correa, plus célèbre architecte indien vivant. «Personne au pouvoir ne sait faire du vélo. Ils tomberaient tout de suite», plaisante-t-il par téléphone depuis ses bureaux à Bombay. «Les décisions sur les villes sont prises par des gens qui se déplacent en voiture», contrairement à nombre de pays développés, où «suffisamment de responsables utilisent les transports en commun ou la bicyclette». «Ca n'est pas le cas en Inde. C'est comme à l'époque de l'Empire des Indes. Le sahib (le patron) ne doit pas être vu en train d'attendre le bus», ajoute-t-il auprès de l'AFP.
«J'ai déjà été renversé mais heureusement la voiture s'est arrêtée avant»
Sushil Kumar, 41 ans, quitte son logement tous les matins à 6h pour se rendre au ministère des Télécoms, où il travaille pour un sous-traitant, moyennant un salaire mensuel de 5500 roupies (65 euros). Il parcourt en pédalant 24 km, depuis Ghaziabad, une banlieue pauvre de Delhi, jusqu'aux boulevards ombragés du centre de la ville, soit une heure et demie de trajet à l'aller et souvent deux heures au retour. Un millier de kms avalés chaque mois. «J'ai déjà été renversé mais heureusement la voiture s'est arrêtée avant» de l'écraser, raconte ce père de quatre enfants, qui envoie à sa femme inquiète un message tous les jours une fois arrivé à bon port.
«C'est très dangereux. Il y a le métro (comme autre solution) mais c'est 60 roupies par jour et je ne peux pas me l'offrir», ajoute-t-il. Sur sa vieille bicyclette brinquebalante et démunie de phare, vêtu d'une simple chemise et d'un pantalon en coton, Kumar est aisément identifiable comme appartenant à la classe des travailleurs pauvres, poussés toujours plus loin des centres des villes par la hausse des loyers. «La hiérarchie sur les routes est quelque chose de tout à fait établie en Inde», soupire Anil Shukla, un des principaux responsables du trafic routier à Delhi, qui regrette l'absence de pistes cyclables, ou même juste d'espace pour les cyclistes.
«Le cycliste est une créature tout en bas de l'échelle. Et parmi les voitures, le plus considéré est le SUV (4X4 de ville)», détaille-t-il à l'AFP. Pourtant, quelque 12 millions de vélos sont vendus chaque année en Inde, contre seulement 1,89 million de voitures, malgré le développement de la classe émergente ces dernières années. «Lorsque vous regardez comment les gens se déplacent pour aller au travail, vous constatez qu'ils prennent les transports publics, le vélo ou qu'ils marchent», remarque Anumita Roychowdhury à l'AFP. «Mais les villes (indiennes) ne sont pas conçues pour la majorité». Le recensement de 2011 montrait que 45% des foyers indiens possédaient un vélo, 21% une mobylette ou une moto et seulement 5% un véhicule à quatre roues. (ats)