Pari viticoleUn encaveur du Vully crée un vignoble en Russie
Produire du vin haut de gamme au pays de la vodka: c'est le défi relevé par un vigneron du Vully et sa femme russe.

Marina et Renaud Burnier posent dans leur vigne dans le Vully fribourgeois.
Au cours d'un périple entamé voici onze ans, Renaud et Marina Burnier ont exporté leur savoir-faire de Nant (FR) à Novorossijsk. Leur entreprise tourne désormais à plein régime.
Si le couple est sur le point d'inaugurer une cave flambant neuve de 1800 m2 à Natouhaevskaia, à une vingtaine de kilomètres de la station balnéaire d'Anapa au sud de la Russie, c'est grâce à sa ténacité. Mais surtout grâce à «une grande part d'inconscience», raconte Renaud Burnier, vigneron-encaveur, propriétaire d'un domaine de vignes dans le Vully.
Son attirance pour la Russie, le Fribourgeois l'explique par les histoires racontées dans son enfance par sa grand-tante gouvernante chez des aristocrates moscovites. Les Choeurs de l'Armée rouge, le Docteur Jivago nourrissent cette passion jusqu'à la rencontre avec son épouse Marina.
Coup de coeur
La Russie n'étant guère réputée pour la qualité de ses vins, le couple décide d'y exporter des crus du Vully. Problème, les vins suisses y sont inconnus et trop chers.
Renaud Burnier se rappelle alors son professeur d'oenologie qui louait le caractère exceptionnel des vignobles du Caucase russe. En 1999, le couple prospecte dans la région de Krasnodar.
Le premier raisin que le vigneron déguste est le «Krasnostop». Servant surtout à donner de la couleur au vin, ce cépage rouge titille son palais d'oenologue. Le Fribourgeois décide qu'il le sortira de l'oubli, à condition de trouver un coin pour le cultiver.
Pots-de-vin évités
Au bout de sept voyages, trois heures avant de reprendre l'avion et d'abandonner, Renaud Burnier aperçoit une colline dont la douceur lui rappelle le Mont-Vully. C'est là, décide-t-il, qu'il réalisera son rêve.
En 2001, la terre de ce vignoble abandonné est louée, et, en 2003, les premiers ceps plantés. Outre le «Krasnostop», des cépages de qualité blancs et rouges sont importés d'Italie et de France. Tout le matériel, des cuves aux attaches, vient de Suisse. Le long et patient travail de la vigne commence avec l'aide de collègues et d'amis.
De laborieuses démarches administratives attendent le couple.»C'était une guerre de chaque instant», se rappelle Marina Burnier, économiste de formation. «La confusion régnait. Les douanes ne connaissaient pas les processus légaux». Le couple réussit à éviter le piège des pots-de-vin grâce à des conseils d'amis sur place.
Obstacles administratifs
En novembre 2005, les Vulliérains goûtent enfin au fruit de leurs efforts. «On ne s'était pas trompé, le résultat était fantastique», se remémore, ému, Renaud Burnier. «Lors de dégustations sur place, les sommeliers refusaient de croire que nos vins étaient russes», raconte-t-il.
Après cette première cuvée encourageante de 30'000 bouteilles, le couple décide de poursuivre l'aventure et de construire une cave. Aujourd'hui, avec une production annuelle de 250'000 bouteilles par année, il commence à obtenir un retour sur ses investissements.
Aventure risquée
Le projet a nécessité plusieurs millions de francs. Les banques suisses ont refusé d'investir et c'est une filiale d'une banque russe à Zurich qui s'est engagée. La PME a aussi bénéficié d'un prêt remboursable du Secrétariat à l'économie. Pour ne pas faire de concession sur la qualité des vins, le plus important est de rester indépendant, soulignent les Burnier.
Jusqu'en 2005, le domaine occupe trois à quatre personnes. Aujourd'hui, la PME compte 30 collaborateurs. Parmi eux, des Suisses qui supervisent les travaux et transmettent leur savoir-faire aux Russes, connaissant mieux les processus de production des vins doux. Quant aux «patrons», ils font des allers-retours fréquents entre Nant et Natouhaevskaia.
(ats)
«Marché potentiel immense»
Les vins russes du «Domaine Burnier» sont importés en Suisse depuis 2009. Ces produits de niche sont destinés à la diaspora russe en Europe ou aux Etats-Unis, aux hommes d'affaires se rendant en Russie, mais aussi à tous les amateurs prêts à faire de nouvelles découvertes.
«Le marché potentiel est immense», relèvent Renaud et Marina Burnier. «Rien qu'à Moscou, il existe plus de 1000 restaurants gastronomiques. Et d'importantes communautés russes vivent à Berlin, Londres ou aux Etats-Unis».
«Les Suisses eux sont curieux et prêts à tester des crus inconnus. Sans oublier les autochtones plus habitués au vin doux et à la vodka, mais dont le palais commence à se former et à apprécier des produits plus secs.»
Les Jeux olympiques dans la ville voisine de Sotchi en 2014 intéressent bien sûr la PME fribourgeoise. «Avec notre millésime 2012, nous serons les seuls à être prêts», constate Renaud Burnier.
«Certes la viticulture russe connaît un regain d'intérêt, mais la concurrence manque soit de moyens, soit de savoir-faire». Dotée d'une tradition viticole millénaire, la région a en effet connu un fort redimensionnement pendant l'ère soviétique.
La moitié des vignes ont été arrachées dans le cadre de la lutte contre l'alcoolisme de Gorbatchev. «Devenues trop grandes, beaucoup d'entreprises viticoles ont fait faillite», explique le vigneron.
Vers le biodynamisme
Le vignoble produit douze cépages: chardonnay, pinot blanc, pinot gris, muscat jaune et viognier pour les blancs. En rouge: merlot, cabernet sauvignon, cabernet franc, malbec, syrah, saperavi et krasnostop.
Comme dans le Vully, Renaud et Marina Burnier défendent une certaine philosophie sur leurs terres russes. La majorité des soins apportés à la vigne sont effectués à la main. La récolte est limitée. Le domaine se dirige vers la biodynamie», note Renaud Burnier.
Il faut dire que la région, située à la même latitude que Bordeaux et le Piémont, est exceptionnelle du point de vue de la diversité. La terre est si fertile que les Allemands l'emmenaient par wagons entiers à la fin de la 2e Guerre mondiale, rappelle-t-il. Une aubaine pour tous ceux qui ont l'envie de la cultiver.