GenèveUne taxe temporaire sur les très riches soumise au vote
Le peuple devra dire le 18 juin s’il veut imposer un peu plus durant dix ans les fortunes excédant 3 millions de francs.
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L’initiative cible les grandes fortunes, notamment celles capables d’acquérir ce type de villa d’architecte, située à Cologny et vendue 60,5 millions de francs en 2021.
La fiscalité constitue un éternel objet de discorde entre bords politiques, avec toujours ce même désaccord de fond: la gauche estime qu’en augmentant les impôts des plus nantis, les recettes de l’Etat croîtront; et la droite prévoit un résultat inverse, affirmant que les très riches déserteront Genève. Sans surprise, cette ligne de fracture se retrouve au sujet de l’initiative «Pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes», déposée par la gauche en septembre 2021, sur laquelle les Genevois voteront le 18 juin.
Dispositif imaginé en plein Covid
Imaginé en pleine crise du Covid, le dispositif prévoit en particulier de prélever une taxe supplémentaire de 2,5 pour mille sur la part de la fortune qui dépasse 3 millions de francs (par exemple, un individu possédant 4 millions de francs devrait s’acquitter de 2500 francs de plus qu’aujourd’hui). Cette ponction aurait cours durant dix ans, puis cesserait. Les initiants tablent sur un gain de 200 millions par an pour l’Etat.
Les recettes explosent mais l’Etat «a de la peine à tourner»
La pandémie est aujourd’hui passée et les finances cantonales sont florissantes: en 2022, Genève a enregistré un excédent de 1,7 milliard de francs. Cet impôt demeure néanmoins parfaitement pertinent, défendent ses tenants. «Il repose sur un principe de solidarité qui se justifie en tout temps», considère Delphine Klopfenstein Broggini, la présidente des Verts. Et il se justifie d’autant plus que «les écarts se creusent entre les plus riches et les autres.» Le député PS Sylvain Thévoz, lui, affirme que le Canton a bien besoin de davantage de ressources, «parce que l’excédent de 2022 est en partie conjoncturel, provient du trading et de l’horlogerie», et peut donc disparaître du jour au lendemain. «Or, structurellement, l’Etat a de la peine à tourner: précarité alimentaire, protection des mineurs, hôpital, etc.: la liste des besoins est longue.»
«Pyramide fiscale fragile»
La droite, au contraire, pense non seulement que l’Etat n’a pas besoin de plus d’argent («il n’y a pas de crise des recettes, mais des dépenses», dit le député UDC Michael Andersen); mais surtout qu’il risque, en réalité, de perdre gros en faisant fuir ses meilleurs contribuables. «Sur le moyen terme, cette initiative est très pernicieuse: elle affaiblit notablement l’attractivité du canton», avertit le député du Centre Sébastien Desfayes, soulignant qu’à Genève, «la pyramide fiscale est fragile car les recettes dépendent d’un très petit nombre de contribuables.»
La fuite des riches divise
Ce risque de fuite, la gauche l’assimile à un épouvantail un peu grossier. Elle n’y croit pas. «A Uri ou à Stans, l’impôt est huit fois moindre qu’à Genève. Si c’était vrai, tous les riches y seraient», avance Sylvain Thévoz. Jean Batou, d’Ensemble à Gauche, observe que «Genève apparaît comme le canton où l’impôt est le plus élevé, mais c’est aussi celui qui présente la croissance des grandes fortunes la plus forte de Suisse: ce phénomène est lié à toutes sortes d’avantages de situation»: culture, prestige, aéroport, etc. «Et puis, la moitié de la fortune est immobilière. Ces gens ne vont pas partir avec leur villa de Cologny sur le dos.»
«Absolument irresponsable»
L’argument fait bondir Michael Andersen. «C’est clair qu’en prenant Uri… Mais il y a Vaud, le Tessin, Zurich. A Zurich, l’impôt sur la fortune est inférieur d’un tiers à celui pratiqué à Genève. Le risque de fuite est très élevé.» Et même en admettant que le mesurer soit impossible, le député PLR Yvan Zweifel propose de ne pas tenter le diable. «Il ne faut pas se préoccuper seulement du risque, mais de son impact s’il se réalise. Ici, il est énorme: les dix contribuables que cette initiative impacterait le plus paient à ce jour 186 millions d’impôts. Cela représente les subsides d’assurance maladie de 80’000 personnes, ou 10% du budget des HUG. Soit, mille grosses fortunes ne partiront pas. Mais dix? Prendre un tel risque est absolument irresponsable.»