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Munitions dans le Léman
22 novembre 2019 14:37; Act: 22.11.2019 18:45 Print
«Plus on attend, plus le risque de pollution croît»
par Jérôme Faas - Des obus, censément enterrés sous la vase, gisent au fond du lac. Une élue, des écologistes et une scientifique craignent pour l'eau potable.
Plusieurs centaines de tonnes de munitions reposent au fond du lac Léman. Cela, on le savait. Mais jusqu'alors, on les pensait enfouies dans la vase, «à plusieurs dizaines de centimètres au-dessous de sédiments». C'est ce qu'avait répondu en 2017 le Conseil d'Etat genevois à une question de la députée PS Salima Moyard, inquiète des risques de pollution. Cette affirmation est, au moins en partie, fausse: en septembre, des plongeurs de l'organisation environnementale Odysseus 3.1 ont trouvé quatre caisses d'obus, certaines éventrées, reposant simplement sur le fond, entre 45 mètres et 55 mètres de profondeur, et distantes de moins de 150 mètres d'un captage d'eau potable et d'un gazoduc.

Entre la fin des années 50 et les années 70, la firme privée Hispano-Suiza jeta au lac entre 150 et 1000 tonnes de matériel militaire. A l'époque, la pratique était légale. L'imprécision du décompte provient du fait que si le largage est avéré, son chiffrage n'a pu être réalisé que sur la base de témoignages. Ces armes (calibres moyens pour canons, obus, grenades, têtes de missiles, etc.) issues de la seconde guerre mondiale ont été immergées à la suite d'explosions malencontreuses survenues alors qu'elles étaient stockées sur la terre ferme. Aucune contamination observée
De 1992 à 2012, le Département fédéral de la défense a étudié la problématique des munitions immergées dans les lacs suisses. Il a conclu en 2012 à l'absence de besoin d'assainissement. Dès 2001, le Canton a déterminé au moins trois sites, dans le Léman genevois, susceptibles de receler des caisses de munitions. En 2002, aidé par l'armée, il a effectué un balisage de ces sites et effectué des prélèvements d'eau et de sédiments. S'il a admis que des incertitudes demeurent quant au nombre et à l'emplacement des sites, il a indiqué que "les concentrations correspondant au cas le plus défavorable sont nettement en-deçà des valeurs limites déterminantes pour un impact conséquent sur l'environnement". Il a aussi expliqué que la qualité de l'eau du Petit Lac était contrôlée mensuellement et qu'aucune contamination liée à ces munitions n'a jamais été observée.
Du coup, la question des risques de pollution se repose avec acuité pour l'élue, qui a à nouveau interpellé le Conseil d'Etat jeudi 21 novembre. Elle s'en est ouverte ce vendredi, accompagnée des membres d'Odysseus 3.1 et de Stéphanie Girardclos, docteure en sédimentologie à l'Université de Genève. La scientifique explique que si toutes les munitions contiennent des matériaux explosifs, on ne peut ici connaître leur composition sans un renflouage et une analyse poussée. «On peut avoir du cyanure, de l'arsenic, des métaux lourds, des composants toxiques cancérigènes.»
«Plus on attend, plus c'est dangereux»
Stéphanie Girardclos souligne «les risques pour l'eau potable». Elle indique que la nappe phréatique étant déjà polluée par du perchlorate, «le lac, qui alimente un bassin de 900'000 personnes, est déjà un plan B. Il n'existe pas de plan C. Les risques n'ont pas été évalués. Ne rien faire est irresponsable. Plus on attend, plus les risques de corrosion augmentent, plus c'est dangereux.»
Quelle quantité d'eau pourrait être polluée en cas d'accident, à quel degré, avec quelles conséquences exactes? «Il n'est pas possible de l'estimer, répond la chercheuse. Cela dépend de la toxicité du produit et de sa concentration. Or, on ne dispose d'aucun paramètre permettant de dire si le risque est acceptable ou pas.»
«Soit l'Etat mentait, soit il ne savait pas»
Toujours est-il que Salima Moyard considère que cette découverte contredit la thèse avancée voici deux ans par le Conseil d'Etat genevois, selon laquelle il est plus simple et surtout plus sûr de laisser ces munitions sous leur cloche de vase. «Soit il mentait, soit il ne savait pas, mais alors il n'est pas normal de traiter cela avec une telle légèreté.» A l'époque, le gouvernement expliquait qu'un repêchage «entraînerait des risques non négligeables pour l'écosystème lacustre», vu la nécessité d'ôter la couche sédimentaire. Or, la relative facilité avec laquelle ces quatre caisses déterrées ont été trouvées, dès la deuxième plongée au hasard dans une zone de douze kilomètres carrés, «ne présage rien de bon», estime Lionel Rard, président d'Odysseus 3.1.
«Assainissement indispensable»
A quelle vitesse les armes se corrodent-elles? «Cela va toujours plus vite que ce qu'on pense, affirme Yves Paccalet, écrivain-philosophe et ex-membre de l'équipe Cousteau. La question des munitions immergées est mondiale. Quel que soit le contenant, on est sûr qu'un jour ou l'autre, le contenu se retrouvera dans l'eau. Les armes contiennent-elles du chlore? Du phosphore? La première chose, c'est de savoir quoi et combien. Il faudra obtenir un renflouement.»
Désormais officiellement interpellé, le Conseil d'Etat est censé répondre à la question de Salima Moyard lors de la session parlementaire des 12 et 13 décembre. L'élue demande notamment la nature exacte des munitions. Elle veut aussi savoir s'il est prévu de cartographier leurs lieux d'immersion, «préalable incontournable à un assainissement, rendu indispensable pour des motifs de sécurité publique».