BrésilUn Bolsonaro «putschiste» et de plus en plus isolé
Au lendemain de la fête nationale, les analystes estiment, mercredi, que le président d’extrême droite est aux abois et qu’il n’a pas compris le «Brésil réel».

Le président Jair Bolsonaro se retrouve de plus en plus isolé au lendemain de la mobilisation de ses partisans dans les grandes villes du Brésil, estimaient, mercredi, de nombreux analystes qui s’alarment de ses discours «putschistes». Le président d’extrême droite n’a pas obtenu le raz-de-marée souhaité pour la fête nationale, même si les centres de Brasilia et, surtout, de São Paulo (125’000 manifestants) ont été envahis par des foules en jaune et vert, les couleurs nationales.
«En plus de son isolement, le président a montré qu’il était capable de mobiliser une minorité bruyante», a estimé, dans le quotidien «O Globo», Bernardo Mello Franco. Dans les cortèges, un mélange hétéroclite de militants d’extrême droite, de proarmes, d’évangéliques, de motards, de conspirationnistes et d’antivaccins.
«Déclaration de guerre à la Cour suprême»
Le fait que les manifestants n’aient pas été violents et n’aient pas envahi, comme redouté, la Cour suprême ou le Parlement - dans un remake brésilien de l’assaut du Capitole, en janvier, à Washington - a représenté en soi un soulagement. Mais des deux discours belliqueux de Bolsonaro, à Brasilia et surtout São Paulo, les commentateurs ont retenu le «ton putschiste» et les attaques très graves contre la Cour suprême.
La plus haute juridiction du pays, apparemment indignée, devait réagir officiellement, et fermement, ce mercredi après-midi au Brésil. Il a «quasiment lancé une déclaration de guerre à la Cour suprême», relève Edson Sardinha, du site Congresso em Foco. Bolsonaro a notamment annoncé qu’il rejetterait les décisions du juge Alexandre de Moraes, qui a ouvert une enquête à son encontre pour diffusion de fausses informations.
Alimenter les crises
«Depuis son élection à la présidence, en 2018, Bolsonaro cherche en permanence à alimenter les crises. C’est son mode de gouvernance, et sa manière de fidéliser sa base électorale», relève Gaspard Estrada, directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, à Sciences Po.
À 14 mois de la présidentielle, Jair Bolsonaro a aussi attaqué avec virulence «la farce» du vote électronique supposé frauduleux, un thème populaire auprès de sa base d’irréductibles, qui ne peut suffire seule à le faire réélire. En affirmant que «seul Dieu» pourrait lui faire quitter le pouvoir, il s’est placé de manière inquiétante en dehors du cadre constitutionnel.
«Bolsonaro ne va pas lâcher le pouvoir facilement: en maintenant ce comportement putschiste, il est prêt à tout faire – y compris créer le chaos au Brésil – afin de se maintenir à la tête du pays», estime Gaspard Estrada.
Un quart de satisfaits
Jair Bolsonaro est aux abois. Il a sombré dans les sondages, avec seulement 24% d’opinions favorables, au plus bas en près de trois ans de mandat. Il est donné perdant face à sa bête noire, l’ex-président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, en octobre 2022. Parfois dès le premier tour.
Il est par ailleurs cerné par les enquêtes judiciaires et ne semble pas avoir compris le «Brésil réel». Car plutôt que d’avoir envie de brûler sur le bûcher les juges de la Cour suprême, la majorité des 213 millions de Brésiliens est préoccupée par les prix de l’alimentation qui s’envolent avec l’inflation, le chômage qui frappe 14 millions d’entre eux et cette pandémie de Covid qui aura bientôt fait 600’000 morts.
«Démonstration de faiblesse»
Si la journée de mobilisation a renforcé l’instabilité politique, elle a aussi un impact «très mauvais sur l’économie» du Brésil «et génère beaucoup d’incertitudes» relève Claudio Frischtak, président d’Inter.BConsultorio, pour TV Globo.
Finalement la «démonstration de force» de Bolsonaro aura été une démonstration de faiblesse. «Le président ne possède par le pouvoir nécessaire pour faire un coup d’État militaire. Il n’a pas l’appui qu’il faudrait», dit Oliver Stuenkel, de la Fondation Getulio Vargas, à São Paulo. L’armée, que sa forte présence au sein du gouvernement et de la haute administration met en situation inconfortable, n’est pas prête aujourd’hui à s’engager dans une telle aventure.
Quant au risque d’une destitution, Jair Bolsonaro «a confiance dans le fait qu’il pourra éviter un impeachment», car «il reste protégé par ses alliés du Centrão», large coalition de droite et de centre droit au Parlement, ajoute Oliver Stuenkel. Il reste à voir si ce soutien ne va pas se fissurer après la journée choc de mardi. Mais d’ici à la présidentielle, le scénario le plus probable, prévoit Oliver Stuenkel, va être «une instabilité constitutionnelle permanente, une situation chaotique».
Version originale publiée sur 20min.ch